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Tendances et développements dans le domaine immobilier

Rédigé par Alexander Rigante, Isabella Tamilia et Deirdra Corber

Introduction 

L’immobilier québécois a connu en 2022 de grands changements économiques et réglementaires qui orienteront assurément l’évolution du marché en 2023. L’année a vu une hausse marquée des taux d’intérêt, une augmentation des coûts de construction, des changements dans les habitudes de consommation, et l’adoption de plusieurs lois et règlements touchant les transactions immobilières dans la province.

Si on regarde le rendement de certaines catégories d’actif, un rapport de 2022 du Groupe Altus indique qu’au T4, à Montréal et à Québec, les trois premières places étaient occupées par les bâtiments industriels, les immeubles d’appartements et les centres commerciaux linéaires ayant un magasin d’alimentation comme locataire clé. Un rapport de CBRE, une société d’investissement en services immobiliers commerciaux, sur les tendances 2023 prédit que :

  • le taux d’inoccupation des immeubles de bureaux continuera de grimper;
  • les commerces de détail connaîtront encore des difficultés malgré le retour des consommateurs;
  • la stabilisation du taux d’inoccupation par rapport à l’année précédente, combinée à la hausse des coûts et à la baisse de l’offre, devrait provoquer un regain d’activité dans le secteur multirésidentiel;
  • la demande d’immeubles industriels continuera d’augmenter tandis que l’offre demeurera basse (une situation qui s’explique en partie par la sévérité des lois sur le zonage et la protection des terres agricoles, qui crée une pénurie de terrains aménageables).

À la lumière de ces prédictions, voici un survol des grandes tendances juridiques qui s’observent dans le marché immobilier québécois.

Interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens

Selon un rapport de 2022 de la Banque Nationale du Canada, le paiement hypothécaire en pourcentage du revenu (« PHPR ») s’est établi à 64,6 %, un chiffre surpassé une seule fois depuis 1981. Autrement dit, pour acquérir le logement médian, un ménage doit consacrer 64,6 % de son revenu disponible aux paiements hypothécaires. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) rapportait récemment que la dernière fois que le logement était abordable, c’était en 2003 et en 2004. L’inabordabilité du logement demeure pour les Canadiens un problème de taille, auquel s’intéressent de plus en plus les politiciens et le législateur. Résultat, pendant la campagne électorale fédérale de 2021, trois des principaux partis politiques ont promis de restreindre ou de taxer lourdement les acquisitions d’immeubles résidentiels par des investisseurs étrangers.

Cette pression politique et économique sur le marché résidentiel canadien a amené le Parlement à édicter, le 23 juin 2022, la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens (la « Loi sur l’interdiction »), suivie du Règlement sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens (le « Règlement »). Ces deux textes sont entrés en vigueur le 1er janvier 2023. La Loi sur l’interdiction impose essentiellement un moratoire de deux ans sur l’achat direct ou indirect d’immeubles résidentiels au Canada par des non-Canadiens, sous réserve de certaines exceptions. Elle a pour objectif de rendre les logements résidentiels plus accessibles pour les Canadiens et, en parallèle, de décourager la spéculation immobilière par des investisseurs étrangers.

La portée de la Loi sur l’interdiction et du Règlement, ainsi que l’ambiguïté des définitions y figurant, a provoqué des craintes et de l’incertitude quant à leurs effets potentiels sur les transactions commerciales. Le tout a suscité un tollé dans le secteur immobilier. Entre autres sources de mécontentement, la définition d’« immeuble résidentiel » dans la Loi sur l’interdiction englobait les terrains à usage mixte. Résultat, l’interdiction visait indirectement des propriétés strictement commerciales, mais zonées pour usage mixte. Le secteur déplorait également que la définition de « non-Canadien » applicable aux entités prévoie un seuil de propriété de 3 % pour les non-Canadiens, au-delà duquel l’entité était jugée « non canadienne ». En pratique, des entités cotées en bourse ou à participation multiple, comme les fiducies de placement immobilier (FPI), pouvaient donc être qualifiées de non canadiennes. Si ce constat peut sembler alarmant, une nuance s’impose : la Loi sur l’interdiction ne s’applique qu’aux immeubles de trois locaux d’habitation ou moins. Les immeubles de quatre logements et plus ne sont donc pas visés. En fait, CBRE rapportait que les 10 transactions immobilières commerciales en importance réalisées à Montréal en 2022 étaient des acquisitions par une FPI, dont trois acquisitions d’immeubles locatifs multirésidentiels : Centurion Apartment REIT a payé 950 millions de dollars canadiens pour un portefeuille de 30 immeubles à logements du grand Montréal, CAPREIT a payé 281 millions de dollars canadiens pour six immeubles à logements, et Allied Properties REIT a payé 121,4 millions de dollars canadiens pour un immeuble de sept étages. La définition d’« immeuble résidentiel » dans la Loi sur l’interdiction braque donc les projecteurs sur les nouvelles constructions sur des terrains non aménagés et l’acquisition de logements vacants déjà convertis en condos.

Devant la réaction du secteur, le Parlement a adopté des modifications au Règlement, entrées en vigueur le 27 mars 2023 (les « modifications »), pour assouplir certaines restrictions et ajouter des exceptions à l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens. Ces exceptions sont :

  • les titulaires d’un permis de travail pendant qu’ils travaillent au Canada;
  • les terrains vacants zonés pour usage résidentiel ou mixte;
  • les immeubles acquis à des fins de développement;
  • les sociétés contrôlées à moins de 7 %  par des étrangers (plutôt que 3 %).

En outre, les immeubles qui ne sont situés ni dans une agglomération de recensement (AR) ni dans une région métropolitaine de recensement (RMR), par exemple à Mont-Tremblant, ne sont pas visés par la Loi sur l’interdiction. Mont-Tremblant compte le plus faible pourcentage de propriétaires non canadiens, évalué à 3,2 % en 2022. Les modifications vont vraisemblablement attirer les investisseurs vers des endroits comme celui-là.

Enfin, un non-Canadien – ou toute autre personne (ex. : avocat, notaire, courtier) aidant sciemment un non-Canadien – qui se rend coupable d’une infraction à la Loi sur l’interdiction encourt une amende maximale de 10 000 $ CA. Le tribunal peut également ordonner la vente de l’immeuble résidentiel.

Un jugement de la Cour supérieure du Québec a confirmé qu’un acheteur ayant conclu une promesse d’achat avant le 1er janvier 2023 pourra tout de même acheter un immeuble résidentiel, même si la vente se conclut après l’entrée en vigueur de la Loi sur l’interdiction.

L’ouverture du gouvernement du Canada à assouplir les restrictions de la Loi sur l’interdiction devrait rassurer les investisseurs étrangers : l’immobilier commercial québécois offre encore de belles occasions d’affaires.

Nouvelles restrictions relatives à la langue française

L’entrée en vigueur de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, le 1er septembre 2022, est venue modifier le cadre réglementaire du secteur immobilier en imposant certaines exigences linguistiques relatives aux contrats et aux registres publics.

Entre autres nouveautés, tous les documents inscrits au registre foncier et au registre des droits personnels et réels mobiliers doivent soit être rédigés exclusivement en français, soit être rédigés en anglais et accompagnés d’une traduction française certifiée. Les documents visés sont essentiels aux transactions immobilières : acte de vente, acte d’hypothèque, hypothèque légale, déclaration de copropriété, acte de servitude, avis au nouveau locataire, etc.

De plus, à compter du 1er juin 2023, tout contrat pouvant être qualifié de contrat d’adhésion (contrat dont les principales clauses ont été imposées par l’une des parties et sont non négociables) doit être rédigé en français. La version française doit être présentée au cocontractant avant que celui-ci exprime sa volonté que le contrat soit rédigé en anglais ou dans une autre langue. Les contrevenants s’exposent à des amendes, des injonctions, des dommages-intérêts ou la nullité du contrat en tout ou en partie. Parmi les contrats immobiliers susceptibles de se retrouver devant les tribunaux, citons les contrats d’assurance et les baux standards imposés au propriétaire par un locataire clé, ou imposés par le propriétaire aux petits locataires. Il sera intéressant de voir comment les tribunaux du Québec interpréteront et appliqueront la loi.

Droit de préemption des municipalités

Le 9 juin 2022 marque l’adoption de la Loi modifiant diverses dispositions législatives principalement en matière d’habitation (la « Loi »), qui confère à toute municipalité québécoise un droit de préemption sur les immeubles, sur tout ou partie de son territoire, moyennant le respect des formalités ci-dessous. Le propriétaire de tout immeuble visé par un droit de préemption doit présenter à la municipalité toute offre d’achat d’un acheteur potentiel qu’il est disposé à accepter. La municipalité a alors 60 jours pour acquérir l’immeuble au prix et aux conditions énoncés dans l’offre.

Pour acquérir un droit de préemption, la municipalité doit :

  • déterminer par règlement le territoire sur lequel le droit de préemption peut être exercé et les fins municipales auxquelles des immeubles peuvent être ainsi acquis;
  • notifier au propriétaire de l’immeuble un avis d’assujettissement au droit de préemption;
  • inscrire au registre foncier cet avis, qui est valide pour 10 ans (l’inscription de l’avis rend le droit de préemption opposable aux tiers, dont les acheteurs potentiels).

Avant l’adoption de la Loi, seule la Ville de Montréal possédait des droits de préemption similaires. Depuis son adoption, d’autres municipalités québécoises ont pris les mesures décrites ci-dessus pour acquérir un droit de premier refus sur des immeubles de leur territoire. Ce droit aura de graves répercussions sur les transactions immobilières dans la province, car il ajoute une source d’incertitude pour les acheteurs potentiels d’un immeuble visé. Ces acheteurs hésiteront peut-être à engager des dépenses pour préparer une offre d’achat et effectuer les vérifications nécessaires en sachant que la municipalité pourrait acquérir l’immeuble dans les 60 jours. Sur ce point, signalons que la Loi oblige la municipalité à dédommager l’acheteur pour certaines dépenses lorsqu’elle choisit d’exercer son droit de préemption. Le montant que l’acheteur pourrait réclamer demeure cependant incertain.

Les acheteurs qui convoitent des immeubles assujettis au droit de préemption se tournent vers des solutions de rechange, par exemple l’achat d’actions de la société propriétaire de l’immeuble. Ce type d’acquisition engendre toutefois son lot d’incertitudes pour les acheteurs potentiels, surtout les investisseurs immobiliers qui n’ont pas l’habitude d’acquérir des entreprises et le passif qui vient avec. Pour le reste de l’année 2023, on s’attend donc à ce que les acheteurs soient prudents en présence d’un droit de préemption.

Conclusion

Malgré les défis économiques et réglementaires, le Québec s’avère résilient et demeure un marché prisé des investisseurs immobiliers. Les rapports font état de tendances favorables dans le commerce de détail et l’immobilier industriel et multirésidentiel, tendances qui devraient se poursuivre tout au long de 2023.

Pour consulter l’article dans le Guide Chambers, cliquez ici.

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