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Un point de repère pour la vente sans garantie légale

Rédigé par Isabella Tamilia

Dans l’affaire Blais c. Laforce[1], la Cour d’appel a rendu une décision sur un sujet important en droit immobilier : l’achat et la vente sans garantie légale. Cette décision confirme qu’une exclusion claire et non équivoque de la garantie légale dans un acte de vente constitue une renonciation expresse de l’acheteur à toute garantie légale, empêchant les acheteurs subséquents d’avoir recours contre tout vendeur antérieur. Ce jugement vient faire exception au principe de transmissibilité de la garantie légale lors de la vente d’un bien.

1.         Les faits

En 1982 et en 2001, Léo Constant (« Constant ») et Robert Laforce (« Laforce », et collectivement avec Constant, les « Vendeurs Initiaux ») ont respectivement vendu l’immeuble en litige (l’« Immeuble ») avec la garantie légale de qualité.

En 2013, Michel Blais (« Blais ») a acheté l’Immeuble de Terrence O’Reilly (« O’Reilly ») sans aucune garantie légale, aux risques et périls de Blais, tel qu’expressément stipulé dans leur acte de vente.

En 2018, Blais a vendu l’Immeuble à Chantal Ouellette (« Ouellette ») et Michael Mayran (« Mayran », et collectivement avec Ouellette, les « Acquéreurs »).

En 2019, ayant constaté que l’Immeuble était atteint d’un vice, les Acquéreurs ont dénoncé le vice par écrit à leur vendeur Blais, comme le requiert l’article 1739 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), et ont intenté une poursuite contre Blais pour vice caché.

En 2020, dans le cadre de la poursuite des Acquéreurs, Blais a appelé en garantie les Vendeurs Initiaux, alléguant être en droit de se faire indemniser par eux de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre lui par les Acquéreurs. En réponse, les Vendeurs Initiaux ont présenté une demande en irrecevabilité en vertu de l’article 168 al. 2 du Code de procédure civile, alléguant que Blais avait acquis l’Immeuble de O’Reilly sans garantie légale, à ses risques et périls, et ne pouvait donc pas leur opposer la garantie légale. Selon les Vendeurs Initiaux, la renonciation explicite de Blais dans son propre acte de vente avec O’Reilly est venue rompre la « chaîne de transmission » de la garantie légale.

2.         Analyse

a)    Garantie légale

Lors de la vente d’un immeuble, le vendeur doit garantir à l’acheteur que l’immeuble est exempt de vices cachés au moment de la transaction. En vertu de l’article 1716 du C.c.Q., la garantie légale existe de plein droit au bénéfice de l’acheteur, qu’elle soit ou non expressément stipulée dans l’acte de vente. Ainsi, les parties qui souhaitent augmenter, limiter ou exclure la garantie légale, comme le permet l’article 1732 du C.c.Q., doivent le stipuler explicitement dans leur contrat, de manière claire et non équivoque.

En droit québécois, la notion de « garantie légale » comporte deux volets : la garantie du droit de propriété et la garantie de qualité.

(i)            Garantie du droit de propriété : Le vendeur garantit que le bien est libre de vices de titre. Les obligations du vendeur envers l’acheteur en vertu de la garantie de propriété sont énoncées aux articles 1723 à 1725 du C.c.Q. comme suit : i) le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien est libre de tous droits, à l’exception de ceux qu’il a déclarés lors de la vente; ii) il est tenu de purger le bien des hypothèques qui le grèvent, à moins que l’acheteur n’ait assumé la dette ainsi garantie; iii) le vendeur se porte garant envers l’acheteur de tout empiétement exercé par lui-même, à moins qu’il ne l’ait déclaré lors de la vente, de même que de tout empiétement qu’un tiers aurait, à sa connaissance, commencé à exercer avant la vente; et iv) le vendeur se porte garant envers l’acheteur de toute violation aux limitations de droit public qui grèvent le bien.

(ii)           Garantie de qualité : Le vendeur garantit que le bien est libre de vices cachés. Les obligations du vendeur envers l’acheteur en vertu de la garantie de qualité sont énoncées aux articles 1726 à 1731 du C.c.Q. comme suit : le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui ne sont pas connus de l’acheteur ou apparents, le vice apparent étant celui qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. Il est possible de renoncer à la garantie de qualité pour le bien dans son intégralité ou pour certaines de ses composantes seulement.

b)    Exclusion de garantie

La renonciation à la garantie dans un acte de vente s’examine au cas par cas. Selon la jurisprudence, les clauses visant à exclure la garantie légale doivent s’interpréter restrictivement[2]. Une analyse de l’intention des parties peut parfois être nécessaire afin d’établir la portée véritable de l’exclusion. Dans Blais c. Laforce, la Cour d’appel a statué que la clause d’exclusion contenue dans l’acte de vente était claire et non ambigue, soulignant que la clause reprenait même les termes de l’article 1733 (2) du C.c.Q., et, en conséquence, « ne [laissait] planer guère de doute sur l’intention de l’acheteur qui indique par cette clause vouloir acheter l’immeuble sans aucune garantie[3] ».

Bien que la garantie puisse être exclue, le vendeur doit tout de même agir de bonne foi conformément aux articles 6 et 1375 du C.c.Q. et remplir son obligation d’information et de transparence envers l’acheteur[4]. Ainsi, si le vendeur a connaissance ou est présumé avoir connaissance d’un vice, il doit en informer l’acheteur. Si le vendeur a agi de mauvaise foi ou de manière frauduleuse, l’acheteur peut (i) demander la nullité de la clause de garantie en question; (ii) demander la nullité de la vente du bien; (iii) demander la réduction du prix d’achat, ou (iv) réclamer des dommages-intérêts au vendeur. Toutefois, le recours en nullité n’est pas sans défis: en vertu de l’article 2803 du C.c.Q., le fardeau de preuve incombe à l’acheteur qui doit prouver que le vendeur était au courant du vice et a agi intentionnellement pour inciter l’acheteur à acheter le bien. L’acheteur doit en outre prouver que le vice rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné et qu’il n’aurait pas acheté le bien s’il avait eu connaissance de ce vice.

c)    Transmissibilité des droits (article 1442 C.c.Q.)

L’article 1442 du C.c.Q. introduit la règle de la transmissibilité des droits personnels aux ayants cause à titre particulier. Essentiellement, si le droit en question constitue un accessoire du bien transmis ou s’il lui est intimement lié, alors le droit est transmis aux successeurs. Selon la jurisprudence, l’article 1442 du C.c.Q. a une vaste portée et doit être interprété largement.

De l’article 1442 C.c.Q. est issue la théorie de l’accessoire, également connue sous le nom de « Kravitz Rule », reconnue par la Cour suprême du Canada dans la décision General Motors Products of Canada c. Kravitz[5], selon laquelle la garantie de qualité a été jugée comme étant un accessoire du bien vendu, car elle est directement liée au bien lui-même[6]. Selon cette théorie, toute réclamation découlant de la garantie de qualité lors de l’achat d’un bien est transmissible aux successeurs simultanément avec le bien lui-même. Autrement dit, la garantie suit le bien dans les mains de l’acheteur subséquent, ce qui, en théorie, permettrait à ce dernier de poursuivre le vendeur initial pour vices cachés. Toutefois, pour que cette théorie soit valable, la chaîne de titres ne doit pas avoir été rompue.

La chaîne de titres permet de retracer les transferts séquentiels de titres de propriété, du propriétaire actuel jusqu’au propriétaire originel du bien. Comme il est expliqué au paragraphe précédent, en théorie, la garantie de qualité, en tant qu’accessoire du bien, suit le bien à chaque vente, permettant à un acheteur de remonter la chaîne de titres pour intenter un recours directement contre les vendeurs antérieurs pour vices cachés. Cependant, la chaîne de titres peut être brisée par la vente d’un bien qui est faite sans aucune garantie, aux seuls risques et périls de l’acheteur. En conséquence de cette rupture, le droit d’un acheteur de poursuivre directement le vendeur antérieur ne survivrait pas.

Suivant cette théorie, la Cour d’appel dans Blais c. Laforce a confirmé que Blais (à titre d’acheteur subséquent) ne pouvait avoir de recours contre les Vendeurs Initiaux (à titre de vendeurs antérieurs) que si la chaîne de titres était toujours intacte, c’est-à-dire qu’aucun des acheteurs antérieurs, y compris lui-même, n’avait expressément renoncé à la garantie légale lors de l’achat de la Propriété. Ainsi, la renonciation explicite de Blais dans son propre acte de vente l’a privé de tout recours non seulement contre son vendeur, mais également contre tout vendeur antérieur[7].

Conclusion

La décision de la Cour d’appel dans Blais c. Laforce confirme qu’une renonciation claire et non équivoque de l’acheteur empêche tout acheteur subséquent d’avoir un recours contre un vendeur antérieur pour vices cachés. Pour qu’un recours existe pour le propriétaire actuel contre un vendeur antérieur, il doit être établi que le droit d’action de l’acheteur initial contre son vendeur a été transmis aux acheteurs subséquents et ce, jusqu’au requérant.

Cette décision rappelle l’importance de rédiger avec précision et clarté les clauses d’exclusion de la garantie légale car la formulation peut avoir de graves conséquences sur les droits d’un acheteur. Notre équipe de droit immobilier peut vous conseiller à cet égard dans le cadre de vos futures transactions.

[1] Blais c. Laforce, 2022 QCCA 858.
[2] Sultan c. Gitman, 2009 QCCS 4627.
[3] Blais c. Laforce, préc. note 1, par. 11.
[4] Deschênes c. Laberge, 2021 QCCQ 10497, par. 27.
[5] General Motors Products of Canada Ltd. c. Kravitz [1979] 1 R.C.S. 790.
[6] Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358.
[7] Ouellette c. Blais, 2021 QCCS 1084.

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