publication-immobilier

Immobilier 2022 : tendances et développements

Rédigé par Fredric L. Carsley, Aubie J. Herscovitch et Virginia K.H. Lam

Introduction

Dans le secteur de l’immobilier commercial au Québec, on gardera de 2021 le souvenir d’une année synonyme de contraintes liées à la COVID-19 mais aussi de croissance considérable pour plusieurs catégories d’actif.

Le gouvernement provincial a imposé diverses restrictions pour lutter contre les variants Delta et Omicron, dont des couvre-feux, des limitations de la taille des rassemblements publics et privés, l’interdiction des sports d’équipe et la fermeture des centres de conditionnement physique. Pour inciter les non-vaccinés à revoir leur décision, il a aussi rendu obligatoire la présentation du passeport vaccinal dans les succursales de la Société des alcools du Québec et de la Société québécoise du cannabis, de même que dans les commerces d’une superficie de 1 500 mètres carrés et plus.

Toutes ces mesures ont eu de lourdes conséquences pour beaucoup d’entreprises. Le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme a été particulièrement touché; la valse des fermetures et réouvertures, au gré des variations du nombre de cas de COVID-19 dans la province, n’a fait qu’alourdir le fardeau des restaurateurs, déjà aux prises avec des difficultés d’exploitation. L’instabilité des effectifs, l’incertitude constante et les ajouts soudains d’exigences, comme l’obligation de valider des passeports vaccinaux, ne sont que quelques-unes des difficultés avec lesquelles ont dû composer les propriétaires d’entreprise et leur personnel.

Cela dit, 2021 aura aussi été productive pour le secteur de l’immobilier, comme en témoigne l’acquisition des parts du Fonds de placement immobilier Cominar pour environ 5,7 milliards de dollars canadiens. Le portefeuille de Cominar, composé d’immeubles de bureaux, commerciaux et industriels totalisant 37,5 millions de pieds carrés et situés à Montréal, Québec et Ottawa, a été racheté par un consortium dirigé par Canderel, importante société immobilière canadienne établie à Montréal, avec la participation d’investisseurs canadiens et américains. La transaction s’est conclue le 1er mars 2022, après l’obtention des approbations réglementaires requises. Les immeubles industriels du portefeuille ont ensuite été vendus à Blackstone, et certains immeubles de bureaux et commerciaux, au Groupe Mach, entreprise montréalaise d’investissement et de gestion.

Comme le montrera notre tour d’horizon des diverses catégories d’actif, le cas de Cominar illustre parfaitement la confiance des investisseurs privés et institutionnels dans l’avenir du marché québécois de l’immobilier commercial.

Immobilier industriel

Le segment industriel est actuellement le joyau du marché québécois de l’immobilier commercial. La robustesse de la demande, le faible nombre de terrains disponibles qui ne sont pas « zonés verts » et des énormes demandes en terme d’espace d’Amazon et d’autres entreprises ont fait monter en flèche les loyers industriels.

Protection du territoire agricole

Quelques lignes sur la protection du territoire agricole s’imposent, la législation en cette matière constituant un important obstacle au développement. Au Québec, plus de 15 millions d’acres de terrains sont situés en zone agricole et ne peuvent être développés à des fins non agricoles sans l’autorisation de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). Or, les autorisations de la CPTAQ sont extrêmement difficiles à obtenir, comme le montre une décision récente concernant Amazon. La société, qui a déjà trois centres de distribution dans la région de Montréal, cherchait un site qui lui conviendrait au sud de la métropole. Elle avait sélectionné à Varennes un site ayant déjà eu une vocation industrielle. Comme le zonage y est maintenant agricole, l’entreprise a présenté une demande d’autorisation à la CPTAQ. En janvier 2022, elle a essuyé un refus, en dépit des retombées économiques évidentes qu’aurait ce type d’investissement dans la région. Le cas d’Amazon est loin d’être un cas isolé; nombre de projets de développement qui bénéficient d’appuis locaux sont ainsi bloqués par les restrictions liées au zonage agricole.

Forte hausse des loyers et de la valeur des terrains

Une étude récente de CBRE situe à 10,47 $ le pied carré le loyer net moyen dans le segment industriel. Pour les locataires qui payaient jusque-là autour de 5,50 $ le pied carré, le renouvellement de bail donne des sueurs froides, et ceux qui réussissent à se relocaliser paieront quand même le loyer du marché.

La valeur des terrains a aussi explosé. Selon CBRE, les prix atteignent maintenant 200 $ le pied carré, contre 175 $ en moyenne il y a un an. Néanmoins, non seulement plusieurs projets industriels sont en chantier, mais au moins un fonds de placement immobilier privé a annoncé qu’il vendait de petits portefeuilles industriels pour redéployer le capital dans un nouveau produit à plafonds élevés destiné à la grande industrie, en partenariat avec des promoteurs industriels dont certains sont établis au Québec.

Des promoteurs ajoutent des superficies à usage industriel à des immeubles commerciaux quand il y a clairement des gains de synergie à la clé. Par exemple, Cadillac Fairview a ajouté un marché gastronomique de 130 000 pieds carrés à son immeuble des Promenades St-Bruno, centre commercial à construction fermée situé sur la Rive-Sud de Montréal. L’établissement comprend des restaurants, des boutiques, un espace de démonstration culinaire et des zones de divertissement, tous réunis dans une construction de type entrepôt.

Immeubles d’habitation

La pénurie de logements au Québec, jumelée à la flambée qu’ont connue les prix des maisons unifamiliales pendant la pandémie, explique le bouillonnement d’activité observé dans le secteur des immeubles d’habitation, tant dans le marché de la location que dans celui de la vente/des copropriétés.

Dans son bilan du marché pour 2021, l’Institut de développement urbain du Québec (IDU) fait état de 13 projets d’immeubles locatifs et de 14 projets d’immeubles de copropriétés en construction dans la grande région de Montréal. Il constate aussi une forte activité dans la grande région de Québec, où de nombreux projets d’immeubles locatifs et d’immeubles de copropriétés seront achevés en 2022 et 2023.

Centurion Apartment REIT a récemment acquis une participation de 66 % dans un portefeuille de 30 immeubles d’habitation de la grande région de Montréal regroupant en tout 3 678 appartements. Cette transaction, la plus importante jamais vue au Québec dans le segment des immeubles d’habitation, témoigne de la confiance des investisseurs dans la stabilité et le potentiel de croissance de ce marché.

Immeubles de bureaux

Le marché des immeubles de bureaux connaît quant à lui de l’instabilité. Pendant la pandémie, le gouvernement du Québec avait rendu obligatoire le travail à domicile. Or, depuis la levée de l’obligation le 7 mars 2022, le retour dans les bureaux a commencé, et les locataires réévaluent leurs besoins à la lumière du nouveau modèle d’occupation qu’entraîne le travail en formule hybride. L’IDU rapporte qu’au moment de renouveler leur bail, les locataires révisent à la baisse leurs besoins d’espace, de 8 % environ, et qu’environ 15 % de l’espace pouvant être loué est proposé sur le marché de la sous-location.

La haute technologie sauve la mise

Si un segment tire son épingle du jeu, c’est celui de la haute technologie. Dans une enquête récente de Price Waterhouse Coopers portant sur 19 villes nord-américaines, Montréal s’est classée sixième pour la location d’espaces de bureaux à des locataires de ce secteur d’activité.

Parmi ces locataires figurent des exploitants de centres de données. La pandémie a radicalement accéléré l’expansion des environnements numériques et des services infonuagiques nécessaires à l’exploitation des entreprises, des institutions et des administrations publiques. Les centres de données, grands consommateurs d’énergie, ne peuvent s’installer que dans des immeubles équipés d’infrastructures spécialisées (structure, mécanique du bâtiment, électricité). Ceux qui peuvent accueillir des locataires multiples (colocation) ont toujours la cote. Cela dit, les centres à locataire unique sont de plus en plus recherchés par des grandes sociétés de technologie et des fournisseurs des services infonuagiques souhaitant regrouper leurs activités, et pour l’installation d’équipements sophistiqués dans un endroit sécurisé.

La grande région de Montréal est aussi un pôle d’excellence dans le domaine des sciences et des biotechnologies. La Cité de la biotech, pôle de choix pour ces secteurs, est située à Laval, juste au nord de Montréal. Elle regroupe des sociétés biopharmaceutiques et des instituts de recherche de renommée mondiale où travaillent plus de 5 000 personnes dans des installations de pointe de quelque 13 millions de pieds carrés. Selon un communiqué récent de CBRE, de nombreux propriétaires se renseignent sur l’aménagement ou la conversion d’espaces en laboratoires. Dans un cas comme dans l’autre, la création des espaces hautement spécialisés qui requiert ce secteur nécessitera des investissements initiaux massifs. La formule gagnante de la Cité de la biotech et les engagements financiers fermes des locataires devraient contribuer à équilibrer le rapport risque-rendement.

Immobilier commercial

D’après une étude de Cushman and Wakefield, les ventes d’immeubles commerciaux ont atteint des sommets au Québec en 2021. Amazon, en particulier, a su tirer parti de la culture du « rester chez soi ». De grands détaillants comme Walmart, Costco et les chaînes de supermarchés ont contribué à cette croissance en introduisant le magasinage hybride (mariage des expériences en ligne et en magasin) et en proposant des options de livraison aux consommateurs.

Et les centres commerciaux? Ceux qui ont une épicerie ou une pharmacie comme locataire principal se sont bien tirés d’affaire, tout comme les mégacentres bien établis. Le centre-ville de Montréal, par contre, a beaucoup pâti, en grande partie parce qu’il a été vidé de ses employés de bureau et de sa population universitaire, et à cause des restrictions visant les rassemblements. Même les Canadiens de Montréal, en finale de la Coupe Stanley pour la première fois depuis des années, n’ont pu accueillir plus de 3 500 amateurs au Centre Bell, qui compte 21 032 places.

Une annonce importante a marqué 2021 en matière de gestion immobilière. Ivanhoe Cambridge, bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), le fonds de pension des Québécois, a transféré l’exploitation de son portefeuille de centres commerciaux canadiens à Jones Lang LaSalle (JLL) pour se concentrer sur sa mission première, l’investissement. Ensemble, JLL et Ivanhoe Cambridge établiront un Centre d’excellence en développement durable qui collaborera avec des chercheurs universitaires pour accélérer la transition verte et l’adoption des plus récentes technologies au Québec, comme annoncé dans un communiqué de presse le 24 août 2021. Cette vision s’harmonise avec les objectifs ESG du secteur de l’immobilier et les exigences des prêteurs et des investisseurs institutionnels.

Immobilier à usage mixte

Repositionnement et densification

Il n’a pas été facile pour les centres commerciaux à construction fermée de composer avec les mesures sanitaires. Les centres de catégories B et C ont énormément souffert, quoiqu’ils connaissaient déjà des problèmes avant la crise sanitaire.

De nombreux propriétaires d’immeubles vieillissants se tournent vers l’immobilier à usage mixte, souvent en jumelant des tours d’habitation à leur centre et en aménageant au rez-de-chaussée des espaces commerciaux adaptés aux besoins des résidents. Le zonage, l’urbanisme, la circulation routière et les obligations à l’égard des locataires existants ne représentent qu’une fraction des questions à prendre en compte quand on transforme un immeuble. Dans les cas où les espaces commerciaux et résidentiels appartiennent à des groupes différents, il peut être utile de diviser le terrain en « copropriétés horizontales », puis de créer des copropriétés verticales pour séparer les espaces résidentiels des espaces commerciaux.

Le projet Esplanade Cartier du promoteur Prével, situé au pied du pont Jacques-Cartier, en bordure du Saint-Laurent, fournit un exemple de repositionnement et de densification d’un autre type. Le site de ce projet, une ancienne zone industrielle qui a essentiellement servi de terrain de stationnement ces 20 dernières années, est en voie d’être transformé, en plusieurs phases, en un complexe à usage mixte qui comprendra des unités d’habitation (copropriétés et unités locatives) ainsi que des logements sociaux, des espaces de bureaux et commerciaux et des aires communautaires. On voit aussi comment se traduit concrètement l’adoption par la Ville de Montréal d’un règlement visant à enrichir l’offre de logements sociaux, abordables et familiaux : les projets résidentiels de 4 843 pieds carrés ou plus, comme celui de l’Esplanade Cartier, doivent obligatoirement respecter le ratio fixé pour les logements de ces catégories.

Le Réseau express métropolitain (REM)

Le repositionnement en immobilier s’arrime en grande partie avec l’aménagement axé sur le transport en commun, et CDPQ Infra, division de la CDPQ, construit et finance le Réseau express métropolitain (communément appelé REM). Ce système de transport de type métro léger comportera 26 stations et traversera la grande région de Montréal, ralliant notamment l’aéroport Trudeau.

Sa construction devrait s’achever en 2024. Plusieurs des projets de repositionnement sont situés à l’emplacement même des futures stations du REM ou à proximité, ce qui optimisera les déplacements. Il est aussi prévu d’intégrer le REM au réseau existant de métro, en vue d’accroître l’utilisation des transports en commun dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques.

Réforme de la loi sur l’expropriation

Depuis le lancement du chantier du REM, de nombreux propriétaires et locataires ont été expropriés pour sa construction, et ce n’est pas terminé. La deuxième phase du projet, le REM de l’Est, qui sera construit dans l’est de la ville, est en préparation et devrait s’amorcer au cours des prochains mois. Au Québec, les expropriations sont balisées par la Loi sur l’expropriation. Cependant, pour faciliter la construction et l’exploitation du REM, le gouvernement du Québec a cherché à trouver un équilibre entre les limites des droits des propriétaires fixés par cette loi et les impératifs associés au REM.

Le fait qu’il ait fallu adopter une loi particulière pour réaliser ce grand projet met en relief la nécessité de réformer la Loi sur l’expropriation, qui aura 50 ans cette année. La réforme, qui est imminente, devra moderniser la procédure d’expropriation pour l’adapter aux nouvelles réalités du marché de l’immobilier québécois, tout en tenant compte des difficultés que rencontrent les parties tant publiques que privées dans le cadre du processus.

Conclusion

Le Québec demeure un marché attrayant pour l’investissement en immobilier, qu’il soit question de réaménagements ou de nouvelles constructions. S’il ne se passe pas une semaine sans qu’on apprenne dans les médias le lancement d’un projet ou la conclusion d’une transaction de taille, c’est que des conditions clés sont réunies : un faible taux de chômage, de la main-d’œuvre spécialisée, une économie diversifiée et une concurrence moins féroce qu’à Toronto ou Vancouver. Avec la fin de la pandémie et des restrictions, nous voyons le marché de l’immobilier poursuivre sa croissance.

Partager