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Clause ultimatum (« shotgun») – Prenez garde de ne pas vous tirer dans le pied (ou pire !)

Octobre 2018 – Les conventions unanimes d’actionnaires prévoient souvent une clause ultimatum, couramment appelée « clause shotgun[1] », permettant à un actionnaire (« l’actionnaire offrant ») d’envoyer un avis à un autre actionnaire (« l’actionnaire destinataire »), par lequel l’actionnaire offrant propose d’acheter les actions de l’actionnaire destinataire à un prix déterminé par action et lui propose également de lui vendre ses actions au même prix offert par action.

Il s’agit d’un moyen très efficace pour mettre fin à une relation entre coactionnaires lorsque les parties ont d’importants différends relativement à l’exploitation de l’entreprise et ne peuvent s’entendre sur l’achat de leurs actions respectives. Nous pouvons présumer que cela permet aux parties d’être honnêtes entre elles puisque l’actionnaire offrant ne proposera habituellement pas à l’actionnaire destinataire un prix dérisoire pour ses actions, et ce, puisque l’actionnaire destinataire pourrait toujours accepter l’offre alternative d’acheter les actions de l’actionnaire offrant au même prix (trop bas soit-il) par action que ce dernier lui a lui-même offert de vendre.

Toutefois, ce processus n’est juste et équitable que lorsque les coactionnaires se trouvent en position d’égalité. Par exemple, l’actionnaire offrant pourrait offrir à l’actionnaire destinataire un prix inférieur à la juste valeur des actions et tenter de profiter de la situation en pensant qu’il est peu probable que l’actionnaire destinataire accepte l’offre qui lui est destinée de se porter acquéreur des actions de l’actionnaire offrant. Voici quelques exemples de situations où il convient d’être vigilant :

  1. L’actionnaire offrant exploite l’entreprise et l’actionnaire destinataire de l’offre est un « partenaire silencieux » qui n’est pas en mesure d’exploiter l’entreprise;
  2. L’actionnaire offrant détient un pourcentage beaucoup plus élevé d’actions de l’entreprise ou a prêté des sommes considérablement supérieures à l’entreprise, de sorte que si l’actionnaire destinataire achetait les actions et assumait les prêts consentis à l’entreprise, le montant que l’actionnaire destinataire aurait à débourser serait beaucoup plus élevé que ce que l’actionnaire offrant aurait à débourser s’il achetait les actions et assumait les prêts consentis à l’entreprise;
  3. L’actionnaire destinataire ne possède pas les ressources nécessaires pour acheter les actions et assumer les prêts consentis à l’entreprise par l’actionnaire offrant.

Cependant, l’actionnaire offrant doit faire preuve de prudence s’il croit profiter d’une situation où l’actionnaire destinataire ne pourrait pas acheter ses actions. Par exemple, l’actionnaire destinataire ayant un statut de « partenaire silencieux » pourrait faire appel à l’expertise d’un tiers pour exploiter l’entreprise. Également, l’actionnaire qui n’a pas les ressources financières pour acheter les actions de l’actionnaire offrant pourrait obtenir du financement d’une institution financière ou d’un tiers pour se saisir de l’offre.

L’auteur a personnellement été témoin de situations où un actionnaire offrait un prix nettement inférieur à la juste valeur marchande des actions qu’il désirait acheter parce qu’il présumait que l’autre actionnaire n’accepterait pas l’offre. Dans l’une de ces situations, l’actionnaire croyait que son coactionnaire, du fait qu’il était plus âgé, ne serait pas intéressé à prendre les rênes de l’entreprise. Il allait découvrir par la suite que les enfants de l’actionnaire destinataire étaient quant à eux intéressés à exploiter l’entreprise et c’est ainsi qu’il accepta l’offre d’achat de ses actions. Dans une autre situation, l’actionnaire présumait que son coactionnaire, qui était un « partenaire silencieux », n’avait pas le sens des affaires nécessaire pour exploiter l’entreprise. Il a été des plus surpris lorsqu’il a appris que son « partenaire silencieux » achèterait les actions offertes. En effet, il s’est avéré que le déclenchement de la clause ultimatum tombait à point dans le temps pour l’actionnaire destinataire puisqu’il allait tout simplement expédier la marchandise vers l’inventaire et percevoir les profits nets de sa vente. Ainsi, il était plus avantageux pour l’actionnaire destinataire d’acheter les actions de l’actionnaire offrant et de vendre l’inventaire pour ensuite liquider les actifs de l’entreprise.

Il convient donc d’accorder une attention particulière à la convention unanime des actionnaires au moment de sa rédaction. Les parties doivent alors se questionner s’ils veulent y prévoir une clause ultimatum. Si une telle clause est prévue, il serait prudent de réfléchir à savoir si une période de moratoire devrait s’appliquer avant que le droit de la clause ultimatum puisse être exercé, s’il doit y avoir un prix d’achat minimal par action et s’il y a lieu d’imposer une restriction au droit de l’actionnaire offrant de poser certaines conditions dans la clause ultimatum, comme celle de modifier les dispositions de non-concurrence contenues dans la convention. Par ailleurs, il faudrait soigneusement évaluer le risque découlant de la fixation d’un prix trop bas pour les actions d’un coactionnaire avant d’exercer une clause ultimatum.


[1]     Note : Ou parfois « achat-vente », « baseball », « boomerang », « aller-retour » ou « roulette russe ».

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