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Projet de loi no 22 sur l’expropriation : Quand trop fort casse.

Rédigé par Jean-Daniel Lamy et Jonathan M. Fecteau

En septembre 2023, l’Assemblée nationale tenait les consultations particulières sur le Projet de loi no 22, par lequel est en voie de s’opérer un changement de paradigme majeur en matière d’expropriation au Québec.

Contrairement à ce que certains élus prétendent publiquement depuis plusieurs mois, l’expropriation n’est pas un phénomène limité aux promoteurs et aux grands propriétaires fonciers. Il s’agit d’une matière qui concerne, au quotidien, un grand nombre de citoyens, qui n’ont pas tous les moyens d’assurer la défense de leurs droits devant les tribunaux.

Or, ce sont ces citoyens que le Projet de loi no 22 va d’abord et avant tout préjudicier.

Modification des règles d’indemnisation applicables au détriment des citoyens

L’expropriation constitue un moyen « exorbitant » du droit commun, en ce qu’il permet à des organismes publics de forcer un citoyen à céder sa propriété pour le bénéfice de la collectivité, contre son gré et à un moment qu’il n’a pas choisi.

C’est en raison de cette atteinte marquée au droit de propriété que les règles d’indemnisation actuellement en vigueur sont fondées sur le principe de la « valeur au propriétaire », en vertu duquel une indemnité juste et raisonnable, tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, doit être versée aux expropriés.

Le Projet de loi no 22 prévoit de mettre ce principe de côté de manière à ce que l’exercice de détermination de l’indemnité d’expropriation à être versée soit désormais restreint par l’imposition de méthodes de calcul limitées, ainsi que par de nombreux paramètres et restrictions quant aux éléments, circonstances et dommages pouvant être considérés. Il est évident que ces changements majeurs auront pour effet d’appauvrir les citoyens expropriés, dont les situations particulières ne pourront être convenablement prises en compte par le Tribunal.

Par ailleurs, la complexification des procédures d’expropriation prévues au Projet de loi no 22 entrainera nécessairement d’importants délais procéduraux, de même qu’une multiplication des appels potentiels en cours d’instance. Des impacts et des coûts importants sont assurément à prévoir sur notre système de justice, déjà encombré, de même que pour les expropriés.

Le cas des victimes d’expropriation déguisée

Autre particularité très inquiétante : l’encadrement prévu au Projet de loi no 22 relativement au concept d’expropriation déguisée, soit la situation où un corps public empêche toute utilisation raisonnable par un citoyen de son immeuble par des moyens détournés, le privant donc illégalement de son droit de propriété, et ce sans l’indemniser.

Le Projet de loi no 22 offre une deuxième chance aux corps publics s’étant indûment approprié la propriété privée de citoyens. Dans l’éventualité où un jugement reconnaît l’existence d’une telle expropriation déguisée, le Projet de loi no 22 accorde aux corps publics un délai minimal de six (6) mois pour annuler les normes réglementaires problématiques, sans autre conséquence et sans perdre la possibilité d’adopter de nouvelles normes restrictives par la suite. Le citoyen victime d’expropriation déguisée devra donc se battre à grands frais devant les tribunaux durant plusieurs années, avec le risque que le débat s’avère, au final, inutile.

Pis encore, certains corps publics sont allés jusqu’à réclamer, lors des consultations particulières tenues en septembre 2023, que les dossiers existants d’expropriation déguisée soient assujettis aux nouvelles règles d’indemnisation prévues au Projet de loi no 22 – moins favorables aux expropriés – et ce alors même que les expropriations effectuées légalement par les corps publics dans les six (6) mois de la sanction de ce projet de loi devront être traitées en vertu de l’ancienne loi.

Une telle demande trahit les objectifs poursuivis par plusieurs corps publics, soient de régulariser rétroactivement les gestes abusifs qu’ils ont posés et leur permettre d’exproprier à rabais.

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« Trop fort, casse pas », dit l’expression populaire. C’est de toute évidence la règle que plusieurs corps publics suggèrent présentement au gouvernement Legault de suivre en lien avec le Projet de loi no 22. Toutefois, lorsque le gouvernement légifère dans une matière impliquant un droit aussi important et fondamental au Québec que le droit de propriété, c’est plutôt la retenue et la plus grande prudence qui devraient s’imposer.

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