Lorsqu’un corps public, sans formellement exproprier un immeuble, restreint l’usage de celui-ci au point de priver de facto le propriétaire de son bien, les tribunaux québécois n’hésitent pas à déclarer l’expropriation déguisée de l’immeuble en question et à forcer le corps public à indemniser le propriétaire suivant les principes applicables en matière d’expropriation. Ce concept est central pour saisir les nuances du projet de la loi 39.
Par l’adoption du projet de loi 39, le législateur québécois confirme le principe jurisprudentiel reconnu par notre Cour d’appel et par le plus haut tribunal du pays voulant que le seul test applicable en matière d’expropriation déguisée est celui de l’effet des gestes d’un corps public sur les usages raisonnables d’un immeuble. Ainsi, malgré l’exercice, par l’autorité, d’un acte tout à fait conforme à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, le législateur prévoit expressément que ce geste peut engendrer l’expropriation déguisée d’un immeuble si celui-ci a pour effet d’empêcher l’exercice d’usage raisonnable possible sur l’immeuble en question.
La nouvelle loi vient également établir les principes suivants :
1) Un immeuble peut être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée dans les circonstances;
2) La justification de cette atteinte doit être évaluée par la Cour supérieure dans une perspective de proportionnalité en tenant compte, notamment, de l’intérêt public, des caractéristiques de l’immeuble et des objectifs prévus dans un plan métropolitain, dans un schéma ou dans un plan d’urbanisme;
3) Il y a présomption que l’atteinte est justifiée lorsque cette atteinte résulte d’un acte visant 1) la protection de milieux humides et hydriques, 2) la protection d’un milieu à valeur écologique importante ou 3) lorsque l’acte est nécessaire pour assurer la santé ou la sécurité des personnes ou la sécurité des biens;
4) La municipalité ou l’organisme qui veut se prévaloir de la présomption doit signifier un avis au propriétaire dans les trois (3) mois de la date d’entrée en vigueur de l’acte visé au paragraphe précédent;
5) Lorsque la Cour supérieure conclut à l’expropriation déguisée et déclare le propriétaire d’un immeuble en droit d’être indemnisé, la Cour supérieure doit déterminer l’indemnité définitive à être versée, ainsi que l’indemnité à laquelle le propriétaire aura droit si l’autorité décide de faire le nécessaire pour donner à l’immeuble des usages raisonnables à l’intérieur des délais prévus à la Loi;
6) La municipalité ou l’organisme qui est déclaré, par la Cour supérieure, avoir procédé à une expropriation déguisée en vertu de l’article 952 C.c.Q a le choix d’acquérir la propriété visée en payant l’indemnité d’expropriation déterminée par la Cour supérieure ou de modifier sa réglementation afin de permettre l’exercice d’usage raisonnable sur l’immeuble. Elle doit informer la Cour supérieure de son choix dans les 4 mois suivant le jugement et procéder conformément à ce choix dans les 9 mois du jugement;
7) Si la municipalité ou l’organisme choisi d’acquérir la propriété, la Cour supérieure doit ordonner le paiement de l’indemnité déterminée et ordonner le transfert de propriété;
8) Si la municipalité ou l’organisme choisi de faire cesser l’acte et que l’acte ne cesse pas dans les 9 mois du jugement, la Cour supérieure, sur demande du propriétaire, doit ordonner le paiement de l’indemnité déterminée en sus de tout nouveau dommage, le cas échéant, et ordonner le transfert de propriété à la municipalité ou l’organisme;
9) Le nouveau régime de fixation de l’indemnité d’expropriation prévue à la Loi concernant l’expropriation[1] ne s’applique pas aux instances en cours devant la Cour supérieure.
[1] Loi concernant l’expropriation (2023, chapitre 7).