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Impact des projets de loi 22 et 39 sur l’expropriation au Québec

Rédigé par Cassandre Louis, Marc Beauchemin et Jonathan M. Fecteau

En 2023, le gouvernement du Québec a adopté les projets de loi 22 et 39, deux initiatives législatives affectant profondément le domaine de l’expropriation. Bien que ces projets de loi visent des objectifs distincts, ils ont tous deux soulevés des préoccupations majeures et suscité de profondes discussions sur la manière de concilier l’intérêt public, les droits de propriété et le cadre juridique régissant l’expropriation. Des propriétaires, des représentants de corps expropriants et des experts juridiques ont activement pris part à ces discussions et à ces consultations, en exprimant des opinions divergentes et des appréhensions quant aux répercussions potentielles de ces changements législatifs.

Le projet de loi 22 : une nouvelle loi sur l’expropriation

Le projet de loi 22, également intitulé Loi concernant l’expropriation, remplace la Loi sur l’expropriation, en vigueur depuis 1973. Il introduit un nouvel ensemble de règles et de lignes directrices relativement au processus d’expropriation. Ce projet de loi est une mesure législative significative visant notamment à accélérer la procédure d’acquisition par expropriation et à modifier les règles d’indemnisation.

Si les partisans de ces nouvelles mesures affirment qu’elles pourraient faciliter l’achèvement rapide des projets publics et favoriser la croissance économique, ses détracteurs craignent qu’elles n’entraînent une diminution des consultations avec les propriétaires fonciers et les communautés concernés. Les nouvelles procédures accélérées pourraient avoir comme effet d’exacerber les conflits liés à l’expropriation et de limiter pour les parties concernées les avenues pour exprimer leurs préoccupations ou pour négocier une indemnisation équitable.

En outre, le projet de loi 22 modifie les règles d’indemnisation, ce qui fait craindre aux experts une baisse des montants d’indemnisation. Ces changements ont déclenché des débats sur l’équité et l’adéquation de l’indemnisation des propriétaires expropriés en vertu de la nouvelle législation.

La raison d’être de ces changements est de trouver un équilibre entre l’achèvement rapide du projet public et le traitement équitable des propriétaires fonciers concernés. Toutefois, des inquiétudes persistent quant aux implications potentielles sur les processus de consultation, à l’équité de l’indemnisation en vertu des lignes directrices révisées et à l’impact plus large sur les droits de propriété.

Projet de loi 39 : expropriation déguisée, vraiment ?

Pour sa part, le projet de loi 39, qui modifie la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives, s’est attaqué à l’expropriation déguisée. Les nouveaux articles  245 et suivants visent à empêcher les propriétaires d’être indemnisés lorsqu’une municipalité exerce son pouvoir réglementaire dans les limites de la loi. Toutefois, la tentative du projet de loi d’établir des limites plus claires entre les actions légitimes des municipalité et l’expropriation déguisée semble entrer en conflit avec des précédents et des interprétations juridiques bien établis.

En fait, les nouvelles dispositions visant l’expropriation déguisée ont suscité un débat sur la manière de définir et d’identifier de telles pratiques. L’expropriation déguisée implique des scénarios dans lesquels l’utilisation raisonnable d’une propriété n’est plus possible en raison de changements réglementaires, de modifications du zonage ou de tactiques coercitives employées par les autorités. Ces situations peuvent ne pas déclencher une expropriation, mais elles ont un impact indéniable sur les droits et les biens des propriétaires.

La tentative du projet de loi d’établir des limites plus claires entre les actions légitimes des municipalités et l’expropriation déguisée soulève des inquiétudes quant aux défis juridiques potentiels et à l’incertitude quant à l’application des nouvelles dispositions législatives dans la pratique. Le débat se concentre sur l’interprétation de ce qui constitue une expropriation déguisée et comment cette définition pourrait affecter les droits de propriété et l’indemnisation des propriétaires concernés.

Impact  général

Si les projets de loi 22 et 39 marquent des changements législatifs importants, les tendances plus larges et les préoccupations relatives aux pratiques d’expropriation sont toujours d’actualité. L’équilibre entre l’intérêt public et les droits de propriété demeure source de débat.

L’impact de ces projets de loi sur la procédure d’expropriation sera examiné de près par les parties prenantes. Alors que le projet de loi 22 vise à accélérer les projets d’intérêt public et à modifier les règles d’indemnisation, ses répercussions potentielles sur les processus de consultation et les mécanismes d’indemnisation équitable suscitent des inquiétudes. Inversement, l’accent mis par le projet de loi 39 sur une absence complète d’indemnisation en cas d’actions municipales légales provoque des débats sur l’équilibre entre les droits de propriété et l’intérêt public.

Le rôle des tribunaux

Maintenant que ces projets de loi sont entrés en vigueur, ils seront interprétés par les tribunaux.

Les interactions entre la législation et l’interprétation judiciaire sont dynamiques et s’influencent mutuellement. Les tribunaux veillent à ce que les lois soient appliquées d’une manière compatible avec les principes constitutionnels, les précédents juridiques et les intérêts plus larges de la justice et de l’équité. L’examen par les tribunaux des limites établies dans les projets de loi sera particulièrement important, notamment dans le contexte de la détermination de l’expropriation déguisée et du recalibrage des critères d’indemnisation.

Considérations futures et besoin de clarté

L’impact des projets de loi 22 et 39 sur l’expropriation au Québec transcende les changements législatifs ; il englobe des considérations sociétales, économiques et juridiques plus larges.

Ces changements législatifs soulignent la nature évolutive du droit de l’expropriation au Québec, et mettent en évidence les efforts continus pour trouver un équilibre juste et équitable entre les besoins de développement public et la protection de la propriété privée.

À l’avenir, ces projets de loi façonneront de manière significative l’expropriation et le droit de propriété au Québec. Des lignes directrices claires et complètes ainsi qu’une application transparente de ces lois seront primordiales.

Alors que les tribunaux délibèrent sur les implications et l’application des projets de loi 22 et 39, leurs décisions détermineront la façon dont ces lois seront appliquées. Leur rôle va au-delà de la simple interprétation ; il s’agit d’apporter de la clarté, de tenir compte des considérations constitutionnelles et de veiller à ce que les droits fondamentaux soient protégés dans le cadre de l’expropriation.

Trouver un équilibre délicat entre l’intérêt public, l’opportunité du développement et la protection des droits de propriété reste un défi important mais essentiel. Maintenant que les législateurs se sont exprimés, il est temps pour les tribunaux de délibérer.

Pour consulter l’article dans le Guide Chambers, cliquez ici.

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