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Les ordonnances Anton Piller : Un instrument puissant pour la protection de vos droits

Rédigé par Eric Lalanne

Décembre 2004 – La plupart des entreprises reconnaissent aujourd’hui que la protection de leurs marques de commerce, droits d’auteur et brevets doit faire partie de leurs priorités juridiques. À une époque où la contrefaçon de toute sorte et le piratage de matériel numérique (tel que disques compacts, DVD et logiciels) font malheureusement partie des préoccupations quotidiennes d’un grand nombre d’entreprises, le droit procédural classique a su s’adapter en proposant des moyens efficaces de contrecarrer ces fléaux. L’émission d’une ordonnance Anton Piller est au nombre des outils qui s’offrent à vous.

De quoi s’agit-il? L’ordonnance Anton Piller – qui porte le nom du demandeur dans l’instance où une ordonnance de ce type a été émise pour la première fois – est à toutes fins utiles une injonction, à laquelle on a greffé des caractéristiques propres à la saisie avant jugement.

L’objet de ce type d’ordonnance est d’assurer le respect de vos droits de propriété à l’égard des biens dont vous êtes présumé être propriétaire.

En effet, il s’agit d’une ordonnance autorisant vos représentants et vos procureurs à pénétrer dans les lieux occupés par la personne visée par l’ordonnance et à effectuer les recherches nécessaires à la saisie de tout matériel ou document permettant de prouver que la défenderesse enfreint vos droits — de propriété intellectuelle ou autres.

Comme nous le verrons, une telle ordonnance ne sera émise que s’il existe une crainte sérieuse que ces éléments de preuve puissent être détruits.

De plus, vous devez faire votre demande ex parte, c’est-à-dire sans que la partie adverse ne soit appelée à se défendre et à faire ses observations. On comprendra que l’élément de surprise est crucial à l’exécution d’une ordonnance de ce type. En pratique, la partie défenderesse ne prend habituellement connaissance de l’émission d’une ordonnance contre elle qu’au moment où vos représentants se présentent chez elle pour procéder à la saisie des éléments de preuve.

Quelles sont les conditions d’émission d’une ordonnance Anton Piller? Au fil du temps, les tribunaux ont déterminé les conditions à remplir afin qu’une ordonnance de type Anton Piller soit émise. Il va sans dire que le caractère intrusif de ce type d’ordonnance milite en faveur d’une interprétation stricte et rigoureuse de ces critères. Ceux-ci peuvent se résumer de la façon suivante :

  • Il doit exister un commencement de preuve très solide, c’est-à-dire que vous devez démontrer que vous possédez, selon toute vraisemblance, un droit dans l’émission de l’ordonnance demandée;
  • Vous devez démontrer l’existence d’un préjudice très grave, que celui-ci soit réel et présent ou éventuel et futur.
  • Vous devez faire la preuve manifeste que les défendeurs ont en leur possession des documents ou des objets pouvant servir de pièces à conviction, et qu’il est réellement possible que les défendeurs détruisent ces pièces avant que puisse être introduite une demande où toutes les parties seraient appelées.

Lorsque l’émission d’une ordonnance de type Anton Piller est demandée en matière de protection des droits de propriété intellectuelle, il est souvent aisé de remplir les deux premières conditions en présentant au tribunal d’une part, la preuve du titre de propriété intellectuelle et, d’autre part, une preuve manifeste de contrefaçon.

Toutefois, et comme le mentionne la Cour fédérale dans la décision — maintenant célèbre — rendue dans l’affaire Adobe, il n’en est pas de même pour ce qui est du troisième critère : [i]l est difficile de démontrer concrètement qu’un contrefacteur a déjà détruit des preuves ou qu’il éliminera des preuves importantes1. Cependant, nous remarquons que les tribunaux acceptent une preuve démontrant la facilité avec laquelle la défenderesse pourrait détruire des éléments de preuve compromettants qu’elle a en sa possession.

L’application de l’ordonnance Anton Piller au Québec et sa conformité avec la Charte des droits et libertés de la personn Depuis la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Raymond Chabot SST inc.2, il est reconnu que, bien qu’elle soit issue de la common law, l’ordonnance Anton Piller est totalement compatible avec les règles prévues au Code de procédure civile du Québec (C.p.c.). En effet, on a jugé qu’en vertu des articles 20 et 46 de ce Code, rien ne s’oppose à l’applicabilité, au Québec, de l’ordonnance Anton Piller, et ce malgré la présence de règles spécifiques à l’injonction (751 à 761 C.p.c.) et à la saisie avant jugement (733 à 740 C.p.c.).

Enfin, toujours dans le cadre de la décision Raymond Chabot SST inc., on a jugé que bien que l’émission d’une ordonnance de type Anton Piller pouvait entraîner des atteintes importantes aux droits fondamentaux, notamment au droit à la protection de la vie privée, ce type d’ordonnance pouvait être considéré comme conforme à la Charte des droits et libertés de la personne, dans la mesure où les conditions énoncées précédemment étaient remplies, tant au moment de l’émission de l’ordonnance qu’à celui de son exécution.

L’efficacité de l’ordonnance Anton Piller Les ordonnances Anton Piller sont populaires et nombreuses, surtout en matière de propriété intellectuelle. Leur efficacité — et par le fait même, leur popularité — tient à plusieurs facteurs. D’abord, le fait que l’ordonnance soit émise en l’absence de la partie adverse provoque nécessairement (comme nous l’évoquions précédemment) un effet de surprise que la partie défenderesse peut difficilement éviter. Il en résulte plus souvent qu’autrement, au moment de l’exécution de l’ordonnance, une découverte de plusieurs éléments de preuve compromettants pour la défenderesse. Évidemment, la saisie de ces éléments rend la tâche particulièrement difficile pour la partie défenderesse, qui se voit placée dans une position difficile à défendre dans le cadre d’un litige imminent.

De plus, il faut comprendre que l’ordonnance ne vous donne pas le droit de pénétrer dans les lieux occupés par la défenderesse sans l’accord de celle-ci. Comme les tribunaux le mentionnent à l’occasion, il s’agit d’une ordonnance d’injonction enjoignant à la personne visée de se laisser saisir. Ainsi, le refus de la défenderesse d’obtempérer et de laisser vos représentants pénétrer dans les lieux désignés à l’ordonnance peut entraîner, pour elle, la sanction d’outrage au tribunal. Cette sanction mène généralement à l’imposition d’amendes ou même, dans des cas extrêmes, à l’emprisonnement.

Ce sont les deux facteurs principaux qui font de l’ordonnance Anton Piller une arme de choix pour vous protéger.

Conclusion Il nous apparaît important de rappeler l’efficacité de l’outil que constitue l’ordonnance Anton Piller, notamment dans une situation où, par exemple, une entreprise cherche à empêcher la libre circulation de biens contrefaits, la reproduction illégale d’une marque de commerce ou la violation d’un secret commercial.

Dans ce contexte, le rôle de l’avocat revêt une importance particulière, autant pour la partie qui demande et exécute l’ordonnance que pour celle qu’elle vise, compte tenu de l’ampleur des conséquences possibles de l’ordonnance.


[1] Adobe Systems Inc. c. KLJ Computer Solutions Inc. [1999] 3 F.C. 621 (p.490-491). [2] Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc. REJB 2002-35030 (C.A.).

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