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La “Unclean hands” doctrine ou l’obligation de ne pas présenter une demande d’immigration de manière trompeuse

Notons que cet article a été publié sur le Blogue du CRL du Jeune Barreau de Montréal.

Dans la décision Adepoju v. Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 438, la Cour fédérale a déterminé qu’il n’existe vraisemblablement pas d’obligation positive pour les demandeurs de révéler volontairement et intégralement que des membres de leurs familles présentent une demande d’immigration simultanée à la leur; cependant, il existe une obligation de ne pas dissimuler la situation réelle ou de ne pas présenter une demande d’immigration de manière trompeuse.

Contexte

Les demandeurs, Deborah Bukunmi Adepoju, et son mari, Ayodeji Oluwatosin Adeyanju, originaires du Nigeria, ont chacun simultanément demandé un permis d’études. Les deux demandes ont été refusées par l’agent des visas.

À la suite de cette réponse, les demandeurs déposent individuellement une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de leurs demandes. Ils plaident que les éléments et les faits présentés dans leurs demandes respectives sont véridiques et exacts (paragr. 11 à 24). Dans l’affidavit au soutien de sa demande, Deborah Adepoju explique que le couple a demandé un permis d’études en même temps et que chacun a indiqué dans les formulaires de renseignement sur la famille que leur conjoint respectif les accompagnerait au Canada.

Le ministre plaide que dans les lettres explicatives individuelles fournies dans le cadre de leur demande de permis d’études, chacun des demandeurs a indiqué que son conjoint resterait au Nigeria et agirait comme « lien familial ». Les demandeurs ne remettent pas en cause ces éléments et arguent qu’un détenteur de permis d’études n’est pas obligé de voyager au Canada et que ce dernier peut demeurer au Nigeria. Leur demande de permis d’études simultanée était une façon d’augmenter leur chance que l’un d’eux soit autorisé à entrer sur le territoire. Par ailleurs, ils soulignent que le conjoint accompagnant d’un détenteur de permis d’études peut faire une demande de permis de travail ouvert.

Par conséquent, les demandeurs allèguent que le fait d’avoir déclaré que leur conjoint demeurait au Nigeria dans leur demande respective ne rend pas ce conjoint inadmissible sur le territoire du Canada. De cette manière, ils soutiennent n’avoir enfreint aucune loi entourant l’immigration (paragr. 20).

​Le ministre fait valoir que ces requêtes constituent un abus de procédure (unclean hands). Il est allégué que les demandeurs, avec l’aide de leur avocat, tentent d’induire la Cour fédérale en erreur (paragr. 3 et 23). Il souligne que les demandeurs ont tous deux omis de faire référence à leur conjoint respectif dans leur demande de permis d’études (paragr. 4).

Analyse

Après avoir revu les affidavits au soutien des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire, les déclarations écrites et les formulaires au soutien de leur demande de permis d’études, la Cour fédérale rejette les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire sur la base d’un abus de procédure (paragr. 35).

En premier lieu, la Cour reconnaît que les demandeurs ont fourni des renseignements contradictoires dans leur demande de permis d’études et que leur réelle intention était de se rendre ensemble au Canada en présentant des demandes distinctes (paragr. 26).

En deuxième lieu, la Cour conclut que le couple a fait une fausse déclaration quant à la véritable nature de leurs intentions lors de leur demande de permis d’études, ce qui fut réitéré dans leurs demandes respectives d’autorisation et de contrôle judiciaire. Par conséquent, en reprenant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Thanabalasingham, 2006 FCA 14, la Cour souligne que les demandeurs ont commis une faute grave en présentant de manière inexacte leurs véritables intentions (paragr. 28-29).

Après avoir revu les exigences législatives relatives à la demande de permis d’études, notamment l’article 216 (1) b) du Règlement de l’immigration et la protection des réfugiés, la Cour fédérale indique qu’il est évident que les demandeurs qui se rendent au Canada, sans avoir de liens familiaux dans leur pays d’origine, sont plus susceptibles d’avoir des difficultés à démontrer qu’ils retourneront dans leur pays à la fin de leurs études (paragr. 31). C’est pourquoi la Cour rejette les arguments des demandeurs en s’exprimant ainsi :

  • [32] I accept the submission of this couple that the spouse of an international student may apply for an open work permit after the spouse has entered Canada on a study permit.  However, I do not accept their submission that this “explains why each of the applicants indicated in their family information form that their spouse will accompany them subsequently to Canada so that anyone [sic] of them that gets the study permit will be accompanied by the spouse on a work permit to be obtained after the determination of the study permit” [emphasis added].  I find this explanation to be post facto, created for the purposes of explaining their otherwise inexplicable conduct, and without merit.  First, the question they responded to does not ask if the family member will be joining the applicant at a later date or subsequently – it asks if the family member will accompany the applicant.  Second, at no time did either spouse inform IRCC or this Court, prior to this motion, that their spouse would subsequently accompany them.  Indeed, the exact opposite assertion is given to this Court.  Ayodeji Adeyanju in his submissions on his Application for Leave and Judicial Review at paragraph 32 states that “[t]he Applicant himself did not indicate that he was to be accompanied” and at paragraph 50 that “[t]he visa officer alleged that the Applicant would be accompanied by family members when that was not the 2022 FC 438 (CanLII) Page: 14 case.”  He cannot have it both ways – either Deborah Adepoju is accompanying him or she is not.

La Cour met en garde les demandeurs : les déclarations et les preuves fournies au soutien de leurs demandes de permis d’études doivent être honnêtes et faire état de la réalité. Il est alors dans l’intérêt public de dissuader d’autres personnes d’adopter le comportement malhonnête dont a fait preuve le couple (paragr. 33).

Conclusion

La Cour fédérale dans ce jugement nous enseigne que toute demande d’immigration doit être cohérente dans son ensemble, mais plus encore que les demandeurs ne doivent pas cacher leur réelle intention par quelconque subterfuge. L’intention doit être présentée de manière véridique et exacte. Une cohérence entre les déclarations écrites et les formulaires est primordiale afin d’éviter toute forme de fausse représentation ou d’abus judiciaire. L’immigration étant un privilège et non un droit, cet arrêt sert d’exemple où la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour abus de procédure, car les demandeurs ont essayé d’induire en erreur, non seulement l’agent des visas, mais aussi la Cour fédérale.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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