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Augmentation du coût des matériaux : les entrepreneurs et les donneurs d’ouvrage se lancent la balle quant à savoir qui doit les assumer

Rédigé par Evelyne Gauvin et Jean-Philippe Asselin

Conséquence directe de la fermeture des usines lors de la première vague de COVID-19, le coût des matériaux de construction a considérablement fluctué depuis le printemps 2020, et ce, partout en Amérique du Nord. De fait, la quasi-totalité des prix des produits industriels est à la hausse depuis le début de l’année 2021, notamment les prix du bois d’œuvre et des produits en bois. Ces hausses causent évidemment bien des maux de tête aux entrepreneurs puisque ceux-ci ont de la difficulté à soumissionner à un prix juste et équitable, exempt des risques reliés aux majorations importantes subies au courant de l’année. Le tout est d’autant plus vrai sachant que les travaux ne seront pas nécessairement effectués avant plusieurs mois et que de nouvelles hausses pourraient survenir. Ainsi, comment les entrepreneurs peuvent-ils se prémunir de ces augmentations? Ces risques ne devraient-ils pas plutôt être absorbés par le client puisque ce dernier bénéficiera ultimement des travaux et de l’ouvrage fini? Légalement parlant, qui doit assumer une telle majoration des coûts des matériaux?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de retourner aux termes du contrat qui ont été dûment négociés par les parties puisqu’il existe des outils pour se prémunir des augmentations des coûts des matériaux.

Les outils pour se prémunir des augmentations des coûts des matériaux

i. Le contrat à coût majoré

L’une des façons pour les entrepreneurs de se protéger d’une hausse importante des coûts des matériaux est de conclure un contrat à coût majoré (temps/matériel). Ce type de contrat est défini à l’article 2108 du Code civil du Québec et prévoit que lorsque le prix est établi en fonction de la valeur des travaux exécutés, des services rendus ou des biens fournis, l’entrepreneur est tenu, à la demande du client, de lui rendre compte de l’état d’avancement des travaux, des services déjà rendus et des dépenses déjà faites.

Ainsi, le contrat à coût majoré permet notamment de pallier à la hausse du coût des matériaux puisqu’en vertu d’un tel contrat, l’entrepreneur sera payé pour la réelle valeur des travaux exécutés, des services rendus et des biens fournis. Toutefois, ce genre de contrat est rarement prisé par les donneurs d’ouvrage, que ceux-ci soient publics ou privés. Ces derniers préfèrent généralement les contrats de types forfaitaires :  soit un contrat par lequel un entrepreneur s’est engagé par contrat à exécuter un ouvrage pour un prix fixe. Défini à l’article 2109 du Code civil du Québec, ce type de contrat prévoit que le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, le tout à moins que les parties n’en aient convenu autrement.

Conséquemment et en considérant le libellé de cet article, il est possible d’inclure au contrat différentes clauses permettant d’ajuster le prix en fonction de la variation du prix des matériaux étant donné qu’il s’agira de la volonté commune des parties d’agir ainsi. La légalité de telles clauses a déjà été reconnue1.

ii. Les clauses d’ajustement des prix

Il est tout à fait possible et même préférable d’inclure une clause d’ajustement des prix dans le contrat et ce, peu importe le type de contrat qui est signé. Certaines de ces clauses peuvent prévoir un ajustement, que celui-ci soit à la hausse ou à la baisse, selon la situation qui prévaut au moment de l’approvisionnement, ou qu’une hausse sera réputée équivaloir à une demande de travail supplémentaire alors que d’autres préciseront spécifiquement qu’aucun montant ne sera accordé au chapitre des variations de prix. Avec une clause d’ajustement de prix, l’entrepreneur peut donc être indemnisé pour ses coûts excédentaires.

Toutefois, il est important de souligner que l’entrepreneur qui entend se prévaloir d’une clause d’ajustement des prix en raison de l’augmentation imprévisible du prix des matériaux devra s’assurer que les montants réclamés à cet effet ne relèvent pas d’une évaluation négligente de sa part. Par conséquent, il faut s’assurer auprès de ses fournisseurs (i) du coût du produit, (ii) de sa disponibilité pour éviter que l’absence de celle-ci fasse varier son coût à la hausse et (iii) de la durée pour laquelle les produits sont disponibles à ce coût. L’entrepreneur se doit également de limiter la durée de validité d’une soumission pour éviter toute mauvaise surprise.

a. Les clauses d’ajustement de prix dans le cadre de contrats publics

Dans le cadre de contrats publics, il est possible pour un soumissionnaire potentiel, pendant la période de soumission, de demander au client de modifier les documents d’appels d’offres afin de prévoir une clause permettant la révision du prix en cas de hausse du prix des matériaux, et ce, par le biais de l’émission d’un addenda. Suite à l’émission d’un tel addenda, l’entrepreneur devra tenir compte des paramètres prévus par cette clause pour établir dans quelles mesures une hausse du coût des matériaux pourra être réclamée de la part du donneur d’ouvrage. À contrario, l’entrepreneur ne pourra évidemment pas réclamer des coûts supplémentaires découlant d’une hausse du coût des matériaux si son contrat ne prévoit pas une telle possibilité. Il faut, par contre, éviter de tenter de se faire justice soi-même en incluant une telle clause dans le cadre de sa soumission puisqu’il y a fort à parier qu’une telle soumission sera alors déclarée non-conforme par le donneur d’ouvrage, faute par lui de pouvoir procéder à un comparatif équitable. Il vaut donc mieux négocier celle-ci préalablement et obtenir un addenda pendant la période de soumission.

b. La Société québécoise des infrastructures prend les devants. 

Afin de soulager les entrepreneurs des risques liés à la hausse du coût des matériaux, certains donneurs d’ouvrage publics, tels que la Société québécoise des infrastructures (SQI), ont décidé d’agir. Pour ce faire, la SQI a décidé d’ajouter des clauses d’ajustements de prix dans les contrats de construction qu’elle octroie. Ainsi, lorsque le prix d’un matériau donné fluctue de plus ou de moins de 5 % entre le moment où la soumission a été déposée et le moment de la réalisation du contrat, la SQI ajustera désormais le prix du matériau en question dans le contrat et remboursera l’entrepreneur au prix révisé. La SQI se basera sur l’indice des prix des produits industriels (IPPI) de Statistique Canada afin de déterminer la fluctuation des prix des matériaux.

Bien que ceci puisse provoquer des ajustements autant à la hausse qu’à la baisse, il est certain que les entrepreneurs n’auront plus à craindre les fluctuations de prix des matériaux. Les entrepreneurs devraient, par conséquent, être en mesure de soumissionner à de meilleurs prix, puisqu’ils n’auront plus à supporter le risque relié à une variable sur laquelle ils n’ont aucun contrôle. Il est à prévoir que de telles modifications auront des impacts directs sur la gestion des dépenses de l’État.

Il importe cependant de mentionner qu’en date des présentes, ce nouveau système n’a pas encore été testé, la SQI n’ayant pas encore attribué de contrat comportant une telle clause. Il est toutefois à prévoir que si cette clause d’ajustement s’avère efficace et utile, d’autres donneurs d’ouvrage publics pourraient emboîter le pas et procéder de façon similaire, bien que les paramètres d’ajustements puissent être différents et faire l’objet de négociations entre les parties cocontractantes.

 

Les réclamations aux donneurs d’ouvrage ou aux clients en l’absence d’une clause d’ajustement des prix 

Depuis le début de l’année 2021, une question revient souvent dans les départements de droit de la construction : la menace de résiliation unilatérale des contrats et les menaces de poursuites judiciaires ou de faillite pour contrer l’absence de clause d’ajustement des prix sont-elles légales ?

De tels comportements sont actuellement observés dans l’industrie, et ce, bien qu’un contrat ait été signé et qu’il ne comporte aucune clause permettant une augmentation de prix. Les entrepreneurs justifient ces demandes d’augmentation de prix convenues par la flambée du prix des matériaux de construction ou par les impacts de la COVID-19 qu’ils assimilent à de la force majeure, soit un événement totalement hors de leur contrôle qui leur permettrait de revoir les conditions du contrat dûment négocié. Il faut également mentionner que ces demandes d’augmentation sont souvent faites à contretemps, dans les semaines précédant la livraison de l’ouvrage.

Sauf exception, un entrepreneur ne peut pas résilier unilatéralement le contrat qui le lie à son client sans s’exposer à être poursuivi. L’augmentation unilatérale d’un prix convenu à l’avance n’est pas une option, à moins qu’il y ait eu une clause à cet effet. Même lorsqu’une telle clause est prévue, il n’est pas impossible qu’elle puisse être contestée lorsque rédigée de manière abusive. Dans tous les cas, le tout devra être fait de manière consensuelle et non pas être imposé unilatéralement. Tel que mentionné ci-devant, il est tout à fait possible de partager le risque de la fluctuation des coûts de construction entre l’entrepreneur et les clients. Il faut simplement le prévoir au contrat avant sa signature.

i. La spécificité de la force majeure

Seule la force majeure peut permettre à l’entrepreneur de se dégager de ses responsabilités de façon unilatérale. Le fardeau de preuve incombera cependant à l’entrepreneur qui devra en faire la démonstration. La force majeure demeure un élément imprévisible pour l’entrepreneur. Considérant ce qui précède, il y a une distinction à faire entre les contrats qui ont été signés avant et pendant la pandémie. À l’égard des contrats signés avant la pandémie, nous croyons que l’argument de la force majeure pourrait être validement plaidé devant les tribunaux2. Toutefois, tel ne serait pas le cas pour les contrats signés pendant la pandémie puisque l’élément d’imprévisibilité et d’irrésistibilité ne pourrait dès lors plus être plaidé; le contrat a alors été signé en toute connaissance de cause. Le fardeau de preuve serait dans ces circonstances plus lourd pour l’entrepreneur, bien que surmontable. Le tout dépend des faits.

Nous soumettons que les principaux moyens de défense qui pourraient être soulevés par les donneurs d’ouvrage et les clients pour contrer de telles demandes sont les suivants :

i. L’absence d’un dommage économique pour l’entrepreneur qui avait déjà acheté ou réservé des matériaux en quantité suffisante pour les contrats déjà signés;

ii. L’exagération de l’impact de la hausse du prix des matériaux. La main-d’œuvre représente également une part importante du coût total, sans oublier la marge de profit;

iii. L’augmentation des prix sur le marché immobilier et le fait que l’entrepreneur sait très bien que s’il revendait la même maison aujourd’hui à quelqu’un d’autre, il obtiendrait un bien meilleur prix. Le but n’est donc plus de compenser une perte sur le prix des matériaux, mais plutôt de profiter illégalement de la surchauffe du marché immobilier.

Des projets de loi pour contrer les demandes de majoration de prix du contrat

Bien que le tout ne semble pas être une pratique généralisée dans l’industrie de la construction, il n’en demeure pas moins que les cas de demandes de majoration du prix du contrat ont augmenté de manière importante. Afin de contrer de telles pratiques, l’Association des consommateurs pour la qualité dans la Construction (ACCQ) a notamment requis de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec que :

i. Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs soit modifié de manière à ce qu’un entrepreneur qui résilie unilatéralement et sans droit ses contrats préliminaires pour l’un des motifs susmentionnés se voie retirer son accréditation pour une période d’un (1) à cinq (5) ans, selon la gravité des cas;

ii. La Régie du bâtiment du Québec entreprenne des procédures pour obtenir l’annulation des licences détenues par de tels entrepreneurs considérant que ceux-ci ne se mériteraient plus la confiance du public.

Bien que nous doutions que de telles modifications législatives et réglementaires interviennent rapidement et avant que le phénomène ne se résorbe, il ne faut pas négliger que l’année 2022 en sera une d’élections générales, ce qui pourrait, par conséquent, accélérer l’adoption de projets de loi suite aux pressions qui pourraient être exercées par les acquéreurs immobiliers et par les donneurs d’ouvrages d’importance.


1 . Pavage JD inc. c. 9301-3845 Québec inc. (Roc-Sol inc.), 2018 QCCQ 9969; Ville de Granby c. 9280-4731 Québec inc., 2020 QCCQ 1298.

2. Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018, par. 2733 et ss.; Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 844 et ss.

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