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Enrichissement injustifié d’un.e. ex-conjoint.e à vos dépends: quels sont vos recours?

Rédigé par David Tordjman

L’enrichissement injustifié d’un.e ex-conjoint.e peut poser des défis financiers importants après une séparation. Cet article explore les recours disponibles pour rétablir un équilibre économique entre les conjoint.e.s de fait, en se basant sur les dispositions du Code civil du Québec.

Malgré l’entrée en vigueur imminente des nouvelles dispositions du Code civil du Québec prévoyant l’instauration du régime d’union parentale (qui prévoira notamment la possibilité pour l’un des conjoints de réclamer à l’autre une prestation compensatoire), le recours en enrichissement injustifié demeure présentement le principal recours de nature pécuniaire qu’un conjoint puisse faire valoir à l’encontre de l’autre à la suite d’une séparation.

Ce recours vise essentiellement à équilibrer les finances entre les conjoint.e.s de fait après leur séparation dans la mesure où certains critères sont remplis.

CRITÈRES D’APPLICATION

Le recours en enrichissement injustifié est codifié à l’article 1493 du Code civil du Québec. Afin de faire valoir un recours en enrichissement injustifié, le conjoint lésé financièrement devra prouver :

(a)  Un enrichissement :  Il faudra prouver que l’un des conjoints s’est enrichi durant l’union, soit par l’accroissement du patrimoine de l’enrichi ou de services rendus par l’appauvri à l’enrichi;

(b)  Un appauvrissement : Il faut prouver que vous vous êtes appauvri durant l’union, lequel peut prendre la forme d’un manque à gagner;

(c)   Une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement : vous vous êtes appauvri car votre conjoint s’est enrichi, et vice versa;

(d)  L’absence de justification : l’enrichissement doit être sans raison juridique, soit sans justification légale ou conventionnelle;

(e)  L’absence d’autres recours : Pour qu’il y ait ouverture à l’action en enrichissement injustifié, il faut que la personne lésée n’ait à sa disposition aucun autre moyen contractuel ou recours résultant d’un contrat ou d’une disposition législative quelconque.

Dans la mesure où le conjoint lésé financièrement puisse faire la preuve de tous les critères ci-dessus, ce dernier aura le droit à une indemnité pour sa contribution au patrimoine de l’enrichi.

Il existe deux méthodes principales pour calculer l’enrichissement, soit :

1.    Celle fondée sur la valeur reçue correspondant au montant que l’enrichi aurait dû dépenser pour recevoir le service et

2.    Celle fondée sur la valeur accumulée qui vise plutôt à déterminer la contribution du conjoint lésé financièrement au patrimoine global de deux parties constituées à l’aide de leurs efforts conjoints.

VALEUR REÇUE VS. VALEUR ACCUMULÉE

Dans le cas de la valeur reçue, l’appauvri se verra accorder un montant représentant typiquement ce que l’appauvri aurait dû recevoir en guise de rémunération pour les services reçus. Pour la valeur accumulée, lequel prend plutôt ses assises sur des principes de Common Law,  au lieu de verser une indemnité comme le prévoit le Code civil du Québec, la partie qui a contribué à l’enrichissement de l’autre reçoit en compensation, le cas échéant, un droit de propriété dans un bien.

Pour la valeur accumulée, la Cour suprême du Canada a jugé dans Kerr c. Baranow[1], qu’il faut que les parties aient été engagées dans une coentreprise familiale. Celui qui allègue son existence doit démontrer que (1) les parties ont participé à un effort commun en vue de réaliser des objectifs importants, (2) le niveau élevé d’intégration des finances des parties (3) que celles-ci avaient l’intention de partager la richesse qu’elles ont créée ensemble, et (4) la priorité accordée à la famille.

Si l’union de fait a été de longue durée, il y aura présomption simple à la fois de la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement et de l’absence de justification. Ces présomptions pourront être renversées par le conjoint qui s’est enrichi.

EXEMPLES D’INDEMNITÉS DANS LA JURISPRUDENCE

À titre d’exemple, dans un dossier où l’on a adopté la méthode la valeur accumulée, la Cour d’appel dans Droit de la famille — 201878[2] est venu confirmer la décision rendue en première instance octroyant à l’ex-conjointe d’un homme d’affaires multimillionnaire la somme de 2,4 millions de dollars pour reconnaître le fait que sa présence à la maison, auprès des enfants, pendant qu’ils vivaient en union libre, lui avait permis de se consacrer au projet d’entreprise qui l’a rendu millionnaire. L’homme d’affaires en question avait un actif de 17 millions de dollars au moment de la séparation.
Dans d’autres jugements ayant adopté la méthode de la valeur accumulée, nous retrouvons des indemnités octroyées au conjoint lésé financièrement oscillant souvent les 15% à 30% de l’actif net du conjoint plus fortuné. À titre d’exemple, dans le dossier Peter c. Beblow[3], la Cour Suprême a déterminé qu’une compensation représentant 25% de l’actif net du conjoint fortuné était équitable compte tenu des contributions de sa conjointe à la famille.  Dans un autre dossier ou Madame se voit destinée à assurer les besoins de la famille tout en consacrant une bonne partie de son temps aux entreprises de Monsieur qui exploite un commerce de transport (notamment en étant préposée à la tenue des livres et registres, à laver les camions et magasiner les pièces de rechange, la Cour Supérieure lui accordé une indemnité représentant à peu près 20% l’actif net de Monsieur[4].
Pour la valeur reçue, quant à l’indemnité auquel aurait droit le conjoint lésé financièrement, celle-ci correspond au montant que, du point de vue purement commercial, l’enrichi aurait dû payer une autre personne pour obtenir les services qu’il a reçus de l’appauvri. À titre d’exemple, dans l’arrêt Débigaré c. Boudreau[5], la Cour d’appel a accordé à l’intimée une indemnité de 300 000 $, vu la nature des biens et service rendus ainsi que la durée de leur union (12 ans), soit 25 000 $ par année pour les 12 années pendant lesquelles l’intimée s’est occupée de façon significative de la vie familiale, du soin et de l’éducation des enfants et des tâches ménagères depuis la naissance de leur enfant jusqu’à la fin de leur vie commune.

DÉLAI ET PRESCRIPTION

Finalement, il est important de noter que le recours en enrichissement injustifié est soumis à un délai de prescription de trois (3) ans à compter de la date de cessation des conjoints.

INFORMEZ-VOUS SUR VOS DROITS

Si vous avez des questions concernant le recours en enrichissement injustifié ou si vous souhaitez en savoir plus sur vos droits potentiels à cet égard, nous vous invitons à contacter nos experts en droit de la famille à ce sujet. Notre équipe pourra vous conseiller sur vos éventuels droits et recours, vous offrir des conseils en conséquence et représenter vos intérêts dans le cadre de tels recours.

[1] Kerr v. Baranow, 2011 SCC 10 (CanLII), [2011] 1 SCR 269
[2] Droit de la famille — 201878, 2020 QCCA 1587 (CanLII)
[3] Peter c. Beblow, 1993 CanLII 126 (CSC), [1993] 1 RCS 980
[4] Lefebvre c. Therrien, 2015 QCCS 1437 (CanLII)
[5] Débigaré c. Boudreau, 2019 QCCA 928 (CanLII)

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