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L’hypothèque légale : droit ou abus de droit de l’entrepreneur ?

Rédigé par Jean-François Hamel et Jean-Philippe Asselin

Le législateur a protégé les droits des principaux acteurs de la construction en leur accordant le droit de publier un avis d’hypothèque légale à l’encontre de l’immeuble sur lequel leurs travaux ont été exécutés. Celle-ci prend rang avant toute autre hypothèque pour la plus-value apportée à l’immeuble, et peut parfois constituer un levier de négociation très puissant.

Rappelons que ce droit est assujetti à certaines conditions préalables, dont notamment :

  1. détenir une licence valide auprès de la RBQ;
  2. en l’absence d’un contrat signé directement avec le propriétaire, lui avoir dénoncé ses travaux préalablement à leur exécution;
  3. avoir une créance conforme aux travaux réellement effectués et ayant apporté une plus-value à l’immeuble;
  4. avoir fait publier l’avis d’hypothèque légale dans les 30 jours de la fin des travaux;
  5. ne pas avoir renoncé au droit d’en publier une préalablement à sa publication;
  6. que celle-ci ne grève pas un bien d’utilité publique;

Toutefois, certains acteurs utilisent l’hypothèque légale comme un coup de massue à l’encontre des propriétaires pour se voir payer de sommes qui ne sont pas légalement garanties. La jurisprudence récente nous enseigne qu’une telle utilisation peut être considérée comme étant abusive.

Dans la décision Vinet c. 9118-1693 Québec inc. (Entreprises RCC), la Cour conclut que de fausses déclarations dans l’avis d’hypothèque à l’effet que l’entrepreneur détenait une licence RBQ conforme constituaient un abus de droit flagrant devant être sanctionné; l’utilisation d’un tel privilège ne doit pas être destinée à servir de moyen de pression ou de chantage.

Dans la décision D. & A. Imprimerie c. 3181588 Canada Inc., la Cour conclut que l’inscription faite sans droit, en toute connaissance de cause, constituait une forme d’intimidation. En effet, la défenderesse avait agi de mauvaise foi en inscrivant une hypothèque légale pour des créances antérieures à la dénonciation de son contrat.

Bien que, règle générale, le propriétaire n’ait pas droit à des dommages-intérêts résultant de l’inscription d’une hypothèque légale, la Cour a ici condamné la défenderesse à des dommages-intérêts puisque l’entrepreneur l’ayant fait publiée avait agi de mauvaise foi en refusant, sans motif, d’accorder mainlevée de celle-ci. La radiation de l’hypothèque légale a également été ordonnée.

Dans la décision Tremis c. Vertzayias, la Cour d’appel a statué que le comportement de l’entrepreneur était malicieux et empreint de mauvaise foi. En effet, l’hypothèque légale avait été publiée plus de 30 jours après la fin des travaux survenue en novembre 2003. L’absence de contestation réelle et l’absence d’avis ou de mise en demeure préalables transmise aux défendeurs pour réclamer le paiement préalablement à la publication ont aussi été retenues à l’encontre de l’entrepreneur qui a été condamné à des dommages-intérêts et au remboursement des honoraires d’avocats.

Finalement, dans les décisions 2440-9427 Québec inc. c. 10144983 Canada Ltd.  et Ferme Mijolait inc. c. 9257-6198 Québec inc. (Roy constructeur), la Cour a décidé que la publication d’hypothèques légales faites sans fondement et pour des fins détournées et le maintien d’un recours n’ayant aucun fondement constituait un abus de droit susceptible de sanction par la Cour.

Dans le premier cas, l’entrepreneur avait maintenu une demande non fondée ayant entraîné la tenue d’un procès inutile; un comportement qui était abusif en soi étant donné l’absence de travaux réellement effectués sur l’immeuble grevé et donc l’inexistence d’une créance réelle. Dans le deuxième cas, la défenderesse s’était refusée à toute discussion avec les demandeurs et avait préféré mettre à exécution la menace d’une hypothèque légale de façon à intimider les demandeurs en prétendant à tort que les travaux réalisés avaient apporté une plus-value nettement supérieure à la réalité. Le fait que les demandeurs n’avaient jamais formellement refusé d’acquitter le solde contractuel a été retenu contre l’entrepreneur.

Pour conclure, l’avis d’hypothèque légale est un droit à utiliser, mais dans la mesure où toutes les règles préalables ont bel et bien été respectées.

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