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Commentaire sur la décision Gauthier c. Ville de Mont-Saint-Hilaire – L’obligation d’information en matière de construction immobilière

Rédigé par Alissa Stachrowski

Décembre 2018 – Il va sans dire que si vous participez à la construction d’un immeuble, vous n’êtes pas le seul acteur qui interviendra dans le processus. Les acheteurs qui souhaitent construire sur un terrain vide consultent souvent plusieurs entités, pour obtenir des informations et des éclaircissements, qu’il s’agisse d’experts, d’autres entreprises de construction, des autorités municipales de la ville dans laquelle l’immeuble sera construit (pour les permis), voire de l’acheteur. Étant donné la pluralité d’intervenants, qui sera déclaré responsable, s’il y a un vice caché ou un vice de construction ? Dans la décision Gauthier c. Ville de Mont-Saint-Hilaire, la Cour supérieure analyse la nature des fautes commises par divers acteurs, dans la construction de l’immeuble de M. Gauthier, pour déterminer la façon dont la responsabilité se divise entre toutes les parties défenderesses.

Dans cette affaire, la Cour supérieure a rendu sa décision sur la nature de la faute et la responsabilité de chacune des entités suivantes : vendeur, la Ville de Mont-Saint-Hilaire, l’entrepreneur et l’acheteur (le demandeur).

I– LES FAITS Le 17 décembre 1993, 3101-6280 Québec inc., la défenderesse 3101-5365 Québec inc. (« 3101 ») et Placements Michel Nicol Inc. achètent un terrain de Hertel Construction inc. dans le but de construire un projet domiciliaire, lequel serait connu comme « La Seigneurie du Golf ».

La Ville de Mont-Saint-Hilaire (la « Ville »), étant au courant d’un historique de glissement de terrain sur le territoire où se trouve la parcelle susmentionnée, demande à Quéformat Ltée. de réaliser quelques études géologiques. Les études concluent que le terrain se situe dans « une zone à risque d’instabilité ou de tassement dû aux remblais prévus ».

En référence à une entente entre les défenderesses 3101 et la Ville, cette dernière effectue des travaux d’infrastructure pour 3101.

Le 27 octobre 1995, le demandeur Roland M. Gauthier achète une partie du terrain en question pour la somme de 44 445 $. L’acte de vente ne mentionne pas l’existence d’une servitude pour une conduite pluviale prévue, cependant, dans le plan du lot qui sera fait en décembre 1995.

Entre décembre 1995 et 1998, la Ville installe la conduite pluviale et des travaux de remblayage sont également faits à cet endroit.

Au printemps 1998, M. Gauthier engage Construction C. Lemieux inc. pour la construction de sa résidence sur le terrain qu’il vient d’acheter et s’y installe, dès la fin des travaux de construction.

Le 2 novembre 1998, M. Gauthier cède une partie de son terrain à la Ville, pour une servitude concernant le passage d’un tuyau d’égout pluvial, et il s’engage à ne rien construire sur une zone de deux (2) mètres.

Le 22 avril 2015, M. Gauthier ressent des vibrations provenant de la fondation de sa maison. Quelques jours plus tard, il aperçoit plusieurs fissures, celles-ci signalant que la partie arrière gauche de la maison était en train de s’affaisser dans le sol.

Le 30 avril 2015, M. Gauthier envoie une mise en demeure à 3101 et à la Ville les tenant pour responsables de tout dommage. En raison des risques associés à l’affaissement, M. Gauthier évacue sa maison au début du mois de mai 2015. M. Gauthier retient les services de Solmatech inc. et de GHD Consultant Ltée. pour obtenir plus d’information. La Ville retient les services de CEP Forensique inc., à la fin du mois de mai 2016, pour connaitre la cause et l’origine de l’affaissement, et savoir si elle avait participé à la préparation du terrain de M. Gauthier.

II– LA DÉCISION Le Tribunal a regroupé les questions en litige ? 1. Quelle est la cause de l’affaissement de la résidence ? 2. À qui faut-il en attribuer la responsabilité ? 3. Dans l’éventualité où le Tribunal conclut à la responsabilité des défenderesses, la condamnation est-elle conjointe ou solidaire ? 4. Quels sont les dommages subis par M. Gauthier et quel est le quantum ? 5. La saisie avant jugement pratiquée à l’instance contre certains lots doit-elle être déclarée bonne et valable ?

Quelle est la cause de l’affaissement de la résidence ? Solmatech conclut qu’une épaisseur importante de remblai pourrait expliquer les tassements supérieurs dans ce secteur. L’entreprise recommande que les fondations de la résidence de M. Gauthier soient réaménagées pour installer des pieux portants en pointe et pour remettre la dalle du sous-sol à niveau.

Le rapport d’expertise de GHD a été effectué par un ingénieur civil, Kamel K. Hamouche. Son rapport d’expertise conclut que les tassements excessifs sont le résultat « d’un comportement différentiel entre les parties ouest et est de la résidence ». Il explique que l’épaisseur du remblai dans le côté ouest de la résidence a causé des tassements importants, tandis que l’épaisseur de celui dans le côté est de la résidence étant moins importante, les tassements générés se sont révélés moins grands. De ce fait, la fondation et la dalle du côté ouest se sont affaissées, alors que la partie est de la résidence est restée en place. Il conclut que la cause principale du comportement différentiel excessif est le remblayage.

Le rapport d’expertise de CEP a été réalisé par l’ingénieur civil, Stéphane Millette. Il indique qu’en raison de l’emplacement de la pierre concassée, les travaux de fondations ont été effectués par quelqu’un d’autre que la Ville. Il blâme le constructeur ou M. Gauthier, en expliquant qu’ils n’ont pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que la quantité élevée de pierre concassée ne causerait pas un problème de portance pour la résidence de M. Gauthier. Il mentionne également que le vendeur, 3101, détenait des informations (résultat du rapport Quéformat) qui n’avaient pas été transmises à M. Gauthier.

Le Tribunal a retenu le témoignage de M. Hamouche, parce que l’ingénieur était spécialisé en géotechnique et avait établi que « le sol avait atteint son point de rupture avant les travaux de construction de la résidence de M. Gauthier ».

À qui faut-il en attribuer la responsabilité ?

A. La responsabilité de 3101 Le Tribunal a conclu que 3101 avait manqué à son obligation de renseignement et avait fait preuve de négligence en n’informant pas son acheteur que le terrain acheté se trouvait dans une zone à risque et avait été remblayé. 3101 avait le devoir de remettre à M. Gauthier les études de Quéformat qu’elle avait en sa possession ou de divulguer la teneur de ces études.

B. La responsabilité de la Ville La personne qui a délivré le permis pour la construction de la résidence de M. Gauthier n’a pas eu accès aux rapports Quéformat, lesquels indiquaient que la construction se ferait sur une zone à risque. Le Tribunal a conclu que la Ville n’avait pas agi avec diligence, puisqu’elle était au courant du problème caractérisant le terrain qui faisait l’objet de la demande de permis, mais qu’il y avait absence de coordination entre ses services. La Ville n’a pas agi de façon prudente et diligente en omettant de s’assurer que M. Gauthier disposait de l’information pertinente affectant son terrain.

C. La responsabilité de Construction Lemieux Le plan présenté à la Ville par Construction Lemieux démontrait que l’entreprise connaissait l’existence de la servitude et que la résidence avait été construite en fonction de cette contrainte. Le Tribunal a conclu également que l’entrepreneur savait que l’excavation était faite dans un remblai, parce qu’il avait dû enlever le remblai existant dans le côté nord-ouest pour le remblayer avec de la pierre concassée. Même si l’entrepreneur ne connaissait pas les détails scientifiques et techniques, il avait assez d’information pour se questionner et faire des vérifications auprès de la Ville. Le Tribunal a conclu que Construction Lemieux avait été négligente :

1) en ne respectant pas les règles de l’art, lors de l’installation des fondations utilisant du remblai d’épaisseurs différentes ; 2) en construisant des fondations près d’une importante conduite, sans se questionner sur l’impact de cette conduite sur le sol ; 3) en ne respectant pas les directives de la Ville apposées sur le plan de construction : les plans soumis avec la demande de permis indiquaient que l’entreprise devait vérifier la capacité portante du sol, ce qui n’a pas été fait ; 4) en érigeant la résidence sur un sol qui n’avait pas la capacité portante suffisante ; 5) en minimisant l’impact du problème décelé du côté ouest de la maison ; 6) en omettant de faire des vérifications auprès d’un ingénieur ou de la Ville eu égard, notamment, à la capacité portante du sol ; 7) en ne faisant aucune recommandation à M. Gauthier en regard de la situation ;

D. La responsabilité de M. Gauthier

Il est clair que M. Gauthier ignorait que son terrain se situait sur une zone à risque. Il ne pouvait pas savoir qu’il était nécessaire de construire sa résidence avec des pieux et une dalle structurale, ce qui n’est pas la norme. Le Tribunal a conclu que M. Gauthier n’avait pas fait preuve de négligence lors de l’achat de son terrain ni de la demande de permis pour la construction de sa résidence. En plus, M. Gauthier ne s’y connaissant pas en matière de construction d’une résidence, il a confié le projet à un entrepreneur d’expérience. C’était à ce dernier de prévoir les méthodes de construction appropriées, selon les conditions de sol existantes.

La condamnation est-elle conjointe ou solidaire ? Les fautes reprochées à 3101 et à Construction Lemieux sont de nature contractuelle et la faute reprochée à la Ville de nature extracontractuelle. Elles entraînent une responsabilité conjointe, ainsi qu’un partage égal pour les trois défenderesses.

M. Gauthier a-t-il subi des dommages et, dans l’affirmative, lesquels et pour quel montant ?

M. Gauthier réclame un montant total de 1 075 268,88 $, réparti de la façon suivante :

  • Travaux de redressement, remise en état de la maison et du terrain : 676 800,72 $
  • Perte de valeur : 97 000,00 $
  • Dépenses diverses et frais de relogement de M. Gauthier et de sa famille : 84 354,57 $
  • Difficultés diverses, désagréments, stress, perte de jouissance de sa propriété, problèmes de santé et de dépression : 75 000,00 $
  • Perte de temps pour gérer les problèmes de réparation de sa maison, le déménagement, traiter avec les experts, constructeurs, etc. : 5 000,00 $
  • Frais d’expertise : 117 613,57 $

Le Tribunal octroie les montants suivants :

Travaux de redressement, remise en état de la maison et du terrain Étant donné que M. Gauthier a accepté une promesse d’achat dans les semaines suivant la fin du procès (pendant le délibéré), il y a eu une réouverture de l’instruction, le 5 janvier 2018. Le Tribunal a appris que M. Gauthier avait vendu sa résidence pour 165 000,00 $, faisant en sorte que sa réclamation à ce titre était non fondée. Cependant, le Tribunal conclut que M. Gauthier a droit à la différence entre la valeur marchande de 650 000,00 $, (abstraction faite des problèmes d’affaissement) et le prix de vente de 165 000 $, soit une différence de 485 000,00 $.

Toutefois, le Tribunal a fait valoir que M. Gauthier n’avait pas minimisé ses dommages en acceptant une offre d’achat très basse, alors qu’il n’y avait aucune urgence à vendre, d’autant qu’une autre offre, plus élevée, avait également été faite. Le Tribunal a réduit les dommages de 40 000,00 $ sous ce chef, M. Gauthier ayant omis de minimiser ses dommages. En l’occurrence, M. Gauthier a droit à 445 000,00 $ équivalant à la différence entre la valeur marchande et le prix de vente, les intérêts ayant commencé à courir dès la vente de l’immeuble, le 1er février 2018.

Perte de valeur Cette réclamation a été jugée sans valeur en raison des motifs mentionnés ci-dessus.

Dépenses diverses et frais de relogement de M. Gauthier et de sa famille M. Gauthier et sa famille ont emménagé dans le condominium de son beau-frère et ont engagé des frais de 8 217 $. En mars 2016, lorsque la nièce souhaita habiter dans le logement de son père, M. Gauthier a acheté un condominium. Il réclame une indemnisation pour certains coûts associés à son déménagement et à son installation dans ce dernier, soit un montant de 76 129 $. Estimant que le déménagement et l’emménagement de M. Gauthier dans le condominium de son beau-frère étaient justifiés, le Tribunal a octroyé un montant de 8 225,56 $.

Cependant, en référence au rapport GHD 2016, lequel révélait qu’il n’y avait plus de problème de stabilisation, M. Gauthier n’avait aucune raison de craindre pour sa sécurité ou celle de sa famille. Le Tribunal a décidé que sa réclamation pour les frais associés à l’achat de son condominium était exagérée. Toutefois, même si le Tribunal trouvait que sa résidence était habitable, il a octroyé des dommages de 35 000,00 $ en raison du fait qu’il y avait des fissures et que les fondations étaient lézardées.

M. Gauthier a droit à 43 225,56 $ de dommages sous ce chef.

Difficultés diverses, désagréments, stress, perte de jouissance de sa propriété et problèmes de santé et de dépression Le Tribunal a octroyé un montant de 35 000,00 $, car aucun document n’a été soumis pour justifier sa réclamation de 75 000,00 $.

Perte de temps pour gérer les problèmes de réparation de sa maison, le déménagement, traiter avec les experts, constructeurs, etc. Encore une fois, comme aucune preuve n’avait été soumise, le Tribunal fut d’avis que 5 000,00 $ étaient raisonnables, étant donné les circonstances évoquées.

Frais d’expertise Le Tribunal a été d’avis que l’expertise de GHD était utile et a accordé le plein montant de 40 124,05 $.

En ce qui concerne l’expertise de Solmatech, le Tribunal n’a octroyé que 5 000,00 $ en raison du fait : (i) qu’elle faisait double emploi avec celle de GHD; (ii) que M. Gauthier n’avait pas demandé à la cour l’autorisation de produire deux expertises pour une même discipline et finalement; (iii) en raison du fait que le rapport faisait également référence aux forages et à l’affaissement d’une autre résidence n’étant pas l’objet du litige. Cependant, toutes les parties ayant fait référence aux forages concernant la propriété en question, le Tribunal reconnait un montant de 5 000,00 $ pour l’expertise de Solmatech.

M. Gauthier a également fait appel à François Goulet, un ingénieur en structure, afin d’obtenir des plans pour les travaux de redressement. Même si son travail n’a plus la même valeur, vu que M. Gauthier a vendu la résidence, il demeure important pour comprendre les dommages et conséquences résultant de l’affaissement. Cependant, lors du procès, il est apparu évident que M. Goulet avait agi comme conseiller de M. Gauthier, et non pas comme expert. De ce fait, le Tribunal a attribué 25 000,00 $ à M. Gauthier.

Finalement, le tribunal accorde 1 000,00 $ pour les évaluateurs. Leur expertise était utile pour fixer la valeur marchande, mais pas pour la perte de valeur (étant donné la vente de la résidence).

La saisie avant jugement pratiquée en l’instance contre certains lots doit-elle être déclarée bonne et valable ? Aucune représentation n’a été faite sur ce point à l’audience.

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE Bien que l’obligation d’information à laquelle est tenu un vendeur ou un prestataire de service soit connue depuis longtemps, la Cour supérieure, sans toutefois l’expliciter ouvertement, indique qu’il y a une faute commise par la Ville de Mont-Saint-Hilaire, même si aucun lien juridique ne la rattache à M. Gauthier, soulignant ainsi le fait qu’elle avait une obligation d’information.

Plus spécifiquement, la Cour impute la faute à la Ville pour son manque de diligence dans la coordination de ses services. C’est ce manquement qui fait que l’information pertinente concernant l’emplacement de sa maison n’a pas été transmise à l’acheteur, lequel avait effectué les démarches nécessaires auprès de la Ville pour obtenir un permis.

D’autre part, la Cour supérieure confirme que l’obligation de se renseigner de l’acheteur est moins impérieuse. Lorsqu’il n’y a aucun indice permettant à l’acheteur de penser qu’il doit pousser son enquête, il ne peut être tenu responsable de ne pas l’avoir fait de manière plus approfondie. Qui plus est, lorsqu’un acheteur mandate un entrepreneur pour faire des travaux, c’est ce dernier qui doit se renseigner sur une situation discutable, étant donné que l’acheteur le paie pour ses connaissances et son expertise en la matière.

CONCLUSION Ce n’est pas la première décision rendue ni la dernière sur le partage de responsabilité, lorsque les dommages résultent de multiples fautes commises par diverses personnes. Lorsqu’un acheteur n’est pas avisé d’une information très pertinente pour la construction de son immeuble, il se peut que le dommage ne résulte d’aucune faute particulière, mais bien du manque d’information de toutes les entités concernées, malgré l’existence d’une obligation à ce sujet, et ce, en raison d’une faute contractuelle ou extracontractuelle. Cette décision nous rappelle qu’aucun individu ni aucune entité ne sont exemptés de l’obligation d’information.


Cet article a originalement été publié en décembre 2018 dans Repères des Éditions Yvon Blais.

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